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Revol-ution.

Revol 2

Le 12 avril 1961, la Russie envoyait le premier homme dans l’espace. Youri Gagarine. Il fit la première révolution autour de la terre à bord du Vostok. Le vol dura 1 heure 48.
Il fallait le talent et l’audace d’Anne-Marie Revol pour nous raconter cette révolution*, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort (à 34 ans) d’un héros de 1 m 58 qui changea à jamais l’histoire de l’espace et rendit toute sa fierté à une grande nation, alors en pleine guerre froide.
Avec dix chapitres formidablement bien troussés, comme dix points de vues, dix poings, chacun porté, dans une année différente, par un personnage différent, Anne-Marie fait une autre révolution autour de cet homme hors du commun : celle de convoquer la poésie de la littérature auprès de l’exactitude de l’histoire pour nous faire nous approcher au plus intime de la fabrique d’un héros.
Embarquez à bord de L’Étoile russe, c’est un voyage vertigineux.

*L’Étoile russe, de Anne-Marie Revol. Éditions Lattès. En librairie depuis le 14 mars 2018.

 

 

#surtoutparle

surtoutparle 2
C’est marrant : les journaux font leurs choux gras de n’importe quelle rumeur depuis l’affaire Weinstein mais passent sous silence le mal fait à bon nombre d’enfants, et surtout la crapuleuse impunité dont jouissent les coupables qui font une interprétation bien licencieuse de Matthieu, verset 19-14 : Laissez venir à moi les petits enfants, protégés qu’ils sont par l’Église et son système d’exfiltration digne de la série 24 ; alors merci à Daphné Gastaldi, Mathieu Martinière et Mathieu Périsse d’avoir été au bout de cette enquête* passionnante, dérangeante, si triste, et trop peu médiatisée.

* Église La mécanique du silence, de Daphné Gastaldi, Mathieu Martinière et Mathieu Périsse. Éditions Lattès. En librairie depuis le 22 mars 2017.

Roman(tique) noir.

de moras calderon
Il y a du Maurice et Leblanc chez Calderon et De Moras.
Il y a cet art de mêler roman noir et romantisme (on se souviendra de l’inoubliable Comtesse de Cagliostro dudit Leblanc), ce don de mélanger l’Histoire et l’histoire, l’ésotérisme et l’évidence, l’alchimie et le bon sens. Bref ; ces deux là, amis depuis l’enfance, l’un mathématicien l’autre scénariste, nous offrent, trois ans après l’épatant La prétendue innocence des fleurs, une histoire* dans laquelle, comme disait Françoise Sagan, on ne sait jamais ce que le passé nous réserve.
Le passé, ce sont ces morts qui reviennent. Ces corps morts en fait, charriés par une terrifiante inondation (inspirée de celle de Nîmes en septembre 2002 et qui emporta, entre autres, le cercueil du père de l’un des deux auteurs) et font s’interroger les vivants, douter de leur version de la vie.
Le présent, selon Calderon et De Moras, est une réplique du passé, comme il y a des répliques aux tsunamis ou aux histoires d’amour. À propos de l’amour, ils ont, je ne sais plus à quelle page, cette phrase fabuleuse : « L’amour est la solution aux problèmes qu’il pose ».
En ce sens, l’amour est aussi toujours l’assassin.
Car c’est de cela dont il s’agit.
Là où rien ne meurt est un formidable romantique noir, comme le père de Lupin savait les écrire, comme on aime à les retrouver aujourd’hui – histoire de se changer des serial killers américains ou autres nazillons venus du froid.

*Là où rien ne meurt, de Calderon et De Moras. Éditons Robert Laffont, collection La Bête Noire. En librairie depuis le 15 mars 2018. PS. Mention spéciale au personnage de Salinque, flic ventripotent à l’épatant phrasé audiardien et à la personnalité adambergienne.

 

Le jour où j’ai lu Le jour où j’ai quitté ma femme.

Vavasseur Femme« Lire à Limoges », samedi 28 avril. Il est 9 heures, le salon ouvre ses portes. En bon soldat, je suis déjà là, assis, seul à mon stand et j’attends. Il fait froid, mes doigts s’ouvrent et craquent en se tendant vers un gobelet en plastique, de la fumée en sort, timide – un café que l’on me propose. Merci. J’attends. Comme il pleut dehors, que le ciel est sinistre, je suppose que les gens préfèrent rester chez eux, emmitouflés dans leur lit ou dans la chaleur de la cuisine.
À côté de moi, les livres de Pierre Vavasseur que je connais bien – les livres, comme l’homme. Il y en a un que je n’ai pas lu*. Alors je l’attrape, l’ouvre, commence sa lecture.
Trente minutes plus tard, alors que quelques personnes pénètrent maintenant sous le grand barnum, je l’ai terminé et j’en suis tout retourné. Presque rudoyé.
Avec la délicatesse d’une sonate de Chopin, Pierre pose les mots de rupture, de désir et donc d’amour, comme le polonais posait ses notes. Chaque phrase est un chant, chaque chant une poésie. En 99 pages, il raconte la gourmandise des hommes, la faim des femmes, avec une foudroyante tendresse. Le jour où j’ai quitté ma femme est à lire comme on savoure une dragée. On laisse d’abord fondre le sucre, doucement, avant de tomber sur l’amande. De la croquer, à la fois heureux d’y être parvenu et triste parce c’est déjà fini.
Il y avait quatre exemplaires de ce magnifique livre sur sa table ; du coup, je les ai vendus.

 *Le jour où j’ai quitté ma femme, de Pierre Vavasseur. Éditions Lattès (2003).

Les mots écoutent.

 

Valérie Dumange.Valérie Dumange ne fait rien comme les autres : elle s’intéresse aux gens. Mais attention. Pas aux people ni aux stars ou aux héritières transies qui aiment soudain leur père mort, non. Elle s’intéresse aux vraies gens, ceux qu’on appelle curieusement les petites gens et nous offre vingt-et-un portraits de femmes* qui, toutes, ont porté et réalisé un projet professionnel – d’un magasin d’optique à une cave à vins, d’une concession automobile à un coffee shop.
Au départ, son projet à elle : celui d’écrire, décrire ces trajectoires inattendues, touchantes, graves parfois, qui mènent à soi.
Ce besoin d’écrire, de donner des mots aux silences, des mots qui écoutent d’abord, puis se mettent à parler, à raconter enfin ces destins de femmes qui n’attendent pas que les hommes décident de la parité, de l’égalité, pour atteindre elles-mêmes leurs rêves d’entreprises.
Mais voilà.
S’intéresser aux petites gens n’intéresse pas les gens de l’édition et Valérie a du publier son livre seule. Elle aussi a été au bout de son projet de livre. Il est beau. Il est vrai. Il mérite que vous rencontriez ces vingt-deux femmes.

*21, Elles et moi, de Valérie Dumange. Une interview ici.

La sœur d’Olivier Bourdeaut.

Odile d'OultremontVoici un livre joyeux, poétique et tonitruant sur le malheur.
Le malheur, c’est le cancer qui vient ronger Louise dont Adrien est éperdument amoureux et dont elle est éperdument amoureuse.
La joie, c’est l’écriture virevoltante d’Odile d’Oultremont, ses fulgurances poétiques, ses saynettes désopilantes (qui en annoncent souvent des plus sombres), ses personnages hauts en couleur (Louise, qui ne sait pas cuisiner mais dessiner dessine les plats qu’elle aimerait cuisiner pour Adrien et les épingle sur le mur de la cuisine, Adrien ne va plus travailler pour s’occuper de Louise et pendant un an, au bureau, personne ne remarque sa disparition), jusqu’au plus petit rôle, un chien qui s’appelle Le-Chat (et si je parle de « rôle », c’est justement parce d’Oultremont est avant tout scénariste et que son texte ferait un film furieux).
Avec ce premier roman joyeusement irrévérent, elle débarque dans le monde bien sage de la littérature avec une grâce inattendue qui n’est pas sans rappeler (dans le style comme dans la surprise), celle, en 2016 d’Olivier Bourdeaut et de son inoubliable En attendant Bojangles.
Une raison de plus de ne pas attendre.

*Les Déraisons, de Odile d’Oultremont. Éditions de l’Observatoire. En librairie depuis le 10 janvier 2018. Prix de la Closerie des Lilas 2018.

Trévidic akbar !

Trévidic BD.

Grosse actualité pour Marc Trévidic. Après son touchant Magasin Jaune 1 paru le 7 mars chez Lattès, le voici de nouveau là avec Compte à Rebours 2, le premier tome d’un triptyque en bande dessinée sur l’anti-terrorisme. Il met en scène le juge Antoine Duquesne – qui, bien que ce ne soit pas son anagramme, n’est pas sans évoquer Marc lui-même.
Ce qui est formidablement excitant dans ce scénario, outre le fait qu’il soit digne des meilleures séries du genre (« C’est horrible à dire, mais j’ai un don pour imaginer des attentats », déclare-t-il), c’est qu’on y découvre un juge qui se trompe, qui doute, et se débat avec la broyeuse administrative ; bref un homme face à la barbarie infinie des hommes, au bord du déséquilibre du monde.
Vivement les tomes 2 et 3 !

1 Le magasin jaune. Éditions Lattès.
2 Compte à rebours, Es-Shahid, de Marc Trévidic et Matz, dessins de Guiseppe Liotti. Éditons Rue de Sèvres. En librairie depuis le 21 mars 2018.

Bonnes nouvelles (enfin).

Pascal Silvestre

Mon très ancien passé de fumeur m’a fait prendre en grippe tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une course à pied. Je m’essoufflais au bout de dix mètres. J’avais des jambes en bois. Et mon cœur s’apprêtait à exploser à chaque instant. Vingt ans après, quand je cours, c’est au ralenti – une sorte de grâce pataude – pour attraper un bus ou grimper à bord d’une rame de métro dont les portes se referment, et j’envie alors les corps de ceux qui courent allégrement sur les trottoirs, serpentent entre les marcheurs, dans les parcs, les stades, vêtus de curieux vêtements aux tissus technologiques, un chrono sanglé à leur bras. Ils courent comme s’ils étaient poursuivis et à les regarder de près, c’est davantage pour (r)attraper quelque chose. C’est Pascal Silvestre qui m’a ouvert les yeux, avec son très beau et mélancolique Marathon*. Dix bonnes nouvelles d’hommes et de femmes autour de marathons justement, tant celui qui fait 42,195 km que ceux qui définissent le poids d’une vie, la longueur d’une espérance, la limite d’une promesse. Pascal raconte avec une étourdissante humanité ces corps broyés, poussés à bout, ces douleurs sourdes, brûlantes souvent, les grilles des côtes qui compressent parfois, empêchent l’air, et puis soudain les âmes qui s’envolent, qui allègent une vie et font goûter à l’ivresse d’un corps commun, celui des autres autour de vous, qui deviennent vos jambes, vos bras ; le corps des autres qui devient le cœur de la vie.

*Marathon, de Pascal Silvestre. Éditions Lattès. En librairie depuis le 9 mars 2016. Pascal est journaliste et a créé le site Runners.fr.
PS. Un salut impressionné à Paul Lonyangata, vainqueur du marathon de Paris édition 2018, en 2h06’25’’.