10.

Montréal. 1976. Nadia Comaneci. 14 ans. Roumaine. Gymnaste. L’ordinateur s’affole. Ne peut inscrire les 10 que donnent les juges. C’est un 1 puis une virgule puis un zéro qui apparaissent. Alors, le monde découvre une fée, avec elle l’idée même de la grâce parfaite d’un corps d’enfant ; et le monde découvre aussi un petit pays, coincé entre les Carpates, le Danube et la mer Noire. Comaneci devient une bombe politique mondiale, une kamikaze idéologique, une colombe qui aurait du rapporter les rameaux du Nobel de la Paix au Grand, à l’Immense Conduçator – j’ai nommé Nicolae Ceausescu. Mais voilà. Le corps change. Les mamelles ballotent (page 163), l’eau fait gonfler les tissus, et les règles épaisses diluent la grâce.
Lola Lafon raconte* avec la virtuosité d’une gymnaste et une acuité bouleversante, terrifiante, la phase terminale de l’enfance. On se souvient tous, sans doute, du corps de Comaneci qui enfla à mesure qu’elle s’approchait du pouvoir et des corps qui la possédaient – comme un bibelot. De sa fuite rocambolesque aux États-Unis, quelques jours avant l’historique et macabre mise en scène de Timisoara ; avant le procès minute des diaboliques ; avant leur exécution minute. On se souvient peut-être de cette interminable chute que fut sa vie – et pas seulement sa chute du 23 juillet 1980 à Moscou.
Une chose est certaine. On se souviendra tous, longtemps, de ce livre immense, dont les seuls sourires de la petite fée étaient, finalement, sibériens.

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*La Petite communiste qui ne souriait jamais, de Lola Lafon, éditions Actes Sud. En librairie depuis janvier 2014.
Au fait, si Nadia Comaneci a gagné des médailles à ne savoir qu’en faire, Lola Lafon n’a, elle, rien à lui envier: Prix de la Closerie des Lilas, Prix Ouest France/Étonnants voyageurs, Grand Prix de l’héroïne Madame Figaro, Prix littéraire d’Arcachon, Prix des lecteurs de Levallois, Prix Jules Rimet sport et littérature, et Prix Version Femina.