Archive | février, 2021

Oh, le joli livre !

Voici Vinca Van Eecke, 45 ans, études de lettres à Dijon après avoir passé son enfance, métier du papa oblige, à Dakar et à Abidjan. « La France ça a été un choc, dit-elle. Le froid. Les gens fermés. Lycée privé catholique ». Et une maman qui lui donne la passion des livres. Ah, les mères. Quelles fées. Et voici son premier roman, Des kilomètres à la ronde, une petite merveille d’écriture, de délicatesse et de poésie. Un roman beau et âpre sur les jeunesses gâchées, les bandes qui traînent, les gars qui rêvent, les filles qui tombent amoureuses. Parmi elles, la narratrice, « la fille de la bande », dingue de Jimmy. Les étés passent, inutiles et vains, dans un parfum de Bogdanovich et de son inoubliable The Last Picture Show auquel ce livre me fait penser. Les corps grandissent, les désillusions aussi. Le monde des adultes n’a pas gardé de place pour ces gamins grandis de guingois. L’horizon est au bout de la rue. Le supermarché. La quincaillerie. On épouse finalement la fille de la voisine. Il n’y a rien de triste dans cette histoire ; juste le temps qui pour eux est passé de cette façon-là, leur a laissé ça. Ces petites ronces qui font les vies. C’est le premier roman de Vinca Van Eeke. Une première beauté magistrale. 

*Des kilomètres à la ronde, de Vinca Van Eecke. Éditions du Seuil. En librairie depuis le 20 août 20.

Autopsie d’un roman.

Autopsie signifie précisément voir de ses propres yeux. Par extension : disséquer un cadavre pour tenter d’y trouver les causes de la mort. Dans cet Autopsie d’un drame1, après l’épatant Anatomie d’un scandale2, Sarah Vaughan s’attaque à cette terrible suspicion de maltraitance d’enfant. Un suspens formidablement bien troussé, ainsi que les anglaises en ont le secret. Une mère dépressive, un bébé qui arrive aux urgences avec un important traumatisme crânien, des incohérences dans l’emploi du temps, une enquête de police, doutes, soupçons ; comme d’habitude, il faudra attendre la fin pour que la mécanique du drame se révèle. En disséquant le roman, j’y ai aussi vu ce qui lui causait un peu de tort. Pourquoi diantre l’enquêteur (en l’occurrence la pédiatre) doit-il lui aussi avoir connu un drame comparable à celui mis en scène, un passé hanté par les mêmes suspicions ? C’est lourd, inutile, et surtout ajoute 150 pages à un livre déjà fort copieux (440 pages, corps 12). D’autant que le passé de Liz (la pédiatre) n’éclaire en rien le présent de Jess (la maman soupçonnée de maltraitance). Ce n’est que mon modeste avis, à prendre avec des pincettes sans doute puisque selon celui de Paula Hawkins, auteur de La fille du train3, il s’agit ici d’un livre « Captivant, intelligent et intense » ; enfin, vous verrez… par vos propres yeux.

1.Autopsie d’un drame, de Sarah Vaughan. Éditions Préludes. En librairie le 10 mars 2021.
2. Anatomie d’un scandale, éditions Préludes (2019) puis Livre de poche (2020).
3.La fille du train, le best-seller de Paula Hawkins chez Pocket.

Un peu de Bleue dans tout ça.

Surprise. Il n’y a pas que les romans dans la vie. Il y a les livres d’art* qui permettent de découvrir un artiste qui écrit avec d’autres mots que les mots et surtout d’en savourer parfois la préface, ici signée de Michel Persitz dont on se souviendra du sublime Juif de Personne (Lattès, 2020). Il nous présente Bleue Roy. « Son père avait la silhouette inébranlable des phares bretons. Elle a hérité de son fier maintien, un port de tête droit, le menton levé, le regard direct, franc et clair. Pour beaucoup, chez une femme, c’est déjà trop ». Davantage qu’une simple présentation convenue d’un peintre brillant par un auteur brillant, voici un texte d’amour fou, comme il y eut des merveilles entre Éluard et Gala ou Aragon et Elsa. 

*Bleue Roy, Jubilant Abstraction. Balzac Publishing, 6502 San Vicente Blvd, Los Angeles, USA.

De toute beauté.

De quoi 2021 est-il fait ? De poésie, soudain. De poésie, enfin. Voici Le Neveu d’Anchise, 31ème livre de Maryline Desbiolles (mais où ai-je vécu ces trente dernières années pour n’en avoir jamais lu un seul ?), 136 pages de vent, de chair, d’enfance, d’arrière-pays et d’abeilles. Je ne sais pas de quoi ce roman est l’histoire. Je m’en fous un peu, à la vérité. Sans doute parle-t-il de l’enfance, du désir, du corps, de la trompette et de Chet Baker, du visage parfait d’Adel qui tisonne le cœur et le ventre d’Aubin, le neveu qui nous raconte ce chant des champs, des poubelles et des chiens effrayants. Desbiolles (qui a obtenu le Prix Femina en 1999 pour Anchise, l’oncle du neveu de ce livre, Anchise qui s’est réellement consumé d’amour en se brûlant dans sa voiture), écrit comme on n’ose plus, comme on en rêve, comme doivent être les livres qui sont plus grands que la vie, la saupoudrent d’un sel essentiel, extrêmement délicat, celui qu’on ne trouve que sur une joue après la larme d’un authentique chagrin. La poésie est ce qui nous sauvera.

*Le neveu d’Anchise, de Maryline Desbiolles. Éditions du Seuil, coll. « Fiction & Cie ». En librairie depuis le 7 janvier 2021.

Héroïque Wanda.

De quoi 2021 est-il fait ? Voici le livre* d’une jeunesse. Et donc d’une fin. Car la jeunesse ne dure pas. Tout comme la vie. Voici Wanda, 70 ans, Wanda qui part (de la vie) et part (de sa chambre d’hôpital) pour aller mourir là où « il n’est ni honteux ni étonnant de mourir » (page 210). Et de ce voyage, c’est le voyage intérieur le plus beau. Celui qui nous fait parcourir, dans une écriture fine et drôle souvent, une jeunesse polonaise au temps des années de plomb, de l’URSS et des Rolling Stones, du LSD, de la littérature et de l’amour. C’est parce que sa chair fond et sent désormais mauvais, dit-elle, qu’elle se souvient de sa chair d’avant, pleine, sa chair de femme, chère épouse, chair d’amante et l’offre aux mots de sa mémoire. Pauline Dalmayer signe un deuxième roman essentiel en cette période humainement apocalyptique puisqu’elle pose la question du choix de la fin de vie. Et, puisque dans fin de vie, il y a vie, elle nous rappelle que celle-ci, toujours, a été importante. Comme celle de Wanda. Comme la vôtre. La mienne. Celle du type qui passe, là-bas.

*Les Héroïques, de Pauline Dalmayer. Éditions Grasset. En librairie depuis le 13 janvier 2021.

Le PQ et les pâtes.

De quoi 2021 est-il fait ? Sans doute de beaucoup de questions, et de doutes, à en croire ce « roman » de Véronique Pittolo, car voici un livre dégenré, c’est-à-dire qu’il appartient à sa propre catégorie. Tout à tour, journal, notes, brèves, revendications, plaintes, gémissements, À la piscine avec Norbert ne raconte rien d’autre que le monde vu par sa narratrice dont on sait trois choses, 1) qu’elle a la soixantaine et qu’elle aimerait ressembler à Laure Manaudou ou Ursula Andress, comme elles, avoir un corps aquatique, ce qui explique qu’elle va bien souvent à la piscine (avec Norbert), 2) du coup, qu’elle est assez branchée cul et 3) qu’elle fait une fixette sur le salaire des patrons du CAC 40**. À part ça, c’est un joyeux salmigondis, assez agréable à lire. Un cocktail 50% cul (dont la répétition, malgré la sodomie de 3 heures du matin, finit par être bien triste) et 50% réflexions sur l’air du (mauvais) temps. Tout cela me fait penser à cette blague que j’avais entendue au début du confinement, il y a donc fort longtemps maintenant, quand les gens dévalisaient les rayons des supermarchés. « Pourquoi n’y a-t-il plus de PQ ni de pâtes ? Parce que les Français aiment le cul et le blé ». Bonne année à tous !

*À la piscine avec Norbert, de Véronique Pittolo. Éditions du Seuil. En librairie le 7 janvier 2021.
**À ce propos, chère consœur ch’ti, lorsque vous écrivez, page 163/164, en gros, qu’au lieu d’acheter Tiffany pour 16 milliards de dollars, Bernard Arnault pourrait financer les retraites des moins avantagés, vous faites un raccourci bien douteux. J’en fais un à mon tour: considérez aussi l’argent de nos chers footballeurs (ce sont des types qui courent derrière un ballon). Neymar, 36,72 millions/an, Mbappé, 22,92.