Archive | avril, 2022

Toutes les enfances n’ont pas le même âge.

Emmanuel de Waresquiel a peu ou prou mon âge et il me semble néanmoins qu’il a deux ou trois cents ans de plus, sans doute à cause de son abondante bibliographie remplie d’essais littéraires et historiques — on y croise Richelieu, Talleyrand, Félicie de Fauveau, le général Mouton, Fouché, Marie-Antoinette, et j’en passe —la plupart couronnés de Prix prestigieux, et je me dis qu’il faut avoir eu beaucoup de vies soi-même pour pouvoir les remplir de celle des autres. 
Le voici qui nous délivre aujourd’hui un récit intimiste*, Voyage autour de mon enfance, où il raconte la sienne, dans l’ombre du château familial, celui de Poligné, sis à Forcé (Maine), dans le ballet gracieux des serviteurs, la douceur d’une mère, la fierté d’un père, le tout persillé d’évocations littéraires et historiques, un peu, il est vrai, à la manière d’une visite guidée. Et tout cela est d’autant plus passionnant que nous avons précisément trois ans d’écart, Waresquiel et moi, que nous sommes censément avoir vécu au même siècle, et pourtant, nulle trace de Sylvie Vartan dans son livre, de Bernard Golay et de « La Une est à vous », d’une Motobécane ou des livres de Pagnol, pas plus qu’une boutanche deValstar et quelques clopes fumées en douce. Au fond, c’est cela qui m’a enchanté dans ma rencontre avec ce texte : que l’on puisse avoir des enfances si différentes et finir tous deux par les écrire, pour les retenir encore un peu, avant des perdre tout à fait.
Ah si. Un point commun quand même entre nous. Il évoque Saint-Tropez et Brigitte Bardot. C’est la seule connaissance commune de nos deux enfances, et pas la plus vilaine.

*Voyage autour de mon enfance, d’Emmanuel de Waresquiel. Éditions Tallandier. En librairie depuis le 10 mars 2022.

L’enfant réparé.

Évidemment, on ne peut pas connaitre tout le monde (et tout le monde ne vous connaît pas non plus) mais c’est dans cette méconnaissance que se situent parfois les bonnes surprises. Ainsi ce Mathieu Malzieu, défini comme homme poétique selon le rabat de la surcouv de son nouveau livre, est le fondateur du groupe rock Dionysos, cinéaste et écrivain, et pas des moindres puisque son célèbre Journal d’un vampire en pyjama a reçu en 2016 le Grand Prix des Lectrices de ELLE et le Prix Essai de France Télévision. Donc, c’est avec une joyeuse curiosité que je me suis attaqué à son Guerrier de porcelaine*, un roman d’enfance et, plus exactement, sur l’enfance d’un père. 
Voici l’histoire de Germain surnommé Mainou, 9 ans, qui franchit en juin 1944 la ligne de démarcation caché dans une charrette à foin, pour vivre jusqu’à la fin de la guerre en zone occupé chez son tonton Émile puisque sa maman vient de mourir en couches et que son papa est à la guerre. Mainou vit au rythme de la ferme, des pontes des poules, de l’indolence des deux chevaux de trait, de la menaces parfois des nazis qui patrouillent dans le coin. L’aimable poésie terrienne de l’Émile l’aide à traverser son enfance endeuillée. La jolie dame juive cachée au grenier lui provoque son premier émoi amoureux. La nuit, il écrit à sa maman dans un cahier. Et quand vient la fin de la guerre, Mainou a grandi, il sait que le mamans mortes ne reviennent pas. Ce qui n’empêche pas l’amour. Le guerrier de porcelaine possède cette fragilité des livres heureux et légèrement sucrés, ce qui n’est pas désagréable en ces temps barbares.

* Le guerrier de porcelainede Mathias Malzieu. Éditions Albin Michel. En librairie depuis le 12 janvier 2022.

Au-dessus du volcan.

On prit du vin, beaucoup de vin, on s’enivra de paroles chaleureuses, de partages de lectures (…). On parla beaucoup d’Erri De Luca qui écrivit tant sur Naples, d’Alain Delon et de Marcello Mastroianni (…). (Page 73).
Voilà. Le décor est planté. Naples. Les livres. Les films, La Piscine, Stromboli. La chaleur. Les corps. Le volcan. La sensualité des braises. Les corps enflammés. La passion. Celle d’Ada, la quarantaine, pour Eva, la vingtaine. L’une fauve, l’autre feu. Une peau de bronze contre une peau de porcelaine. La beauté d’une toile de Raphaël. Deux flammes qui s’entortillent jusqu’à se consumer et tout brûler sur leur passage. Et lorsque viennent les cendres, elles dessinent, vous verrez, un hallucinant paysage.
C’est cette coulée de lave et de désir que nous délivre Adeline Fleury dans Les Frénétiques*, un texte d’une sensualité affolante dans cette baie de toute beauté. Un roman à contre-courant des colères d’aujourd’hui. Un livre libre.

*Les Frénétiques, d’Adeline Fleury, aux éditions Julliard. En librairie depuis le 3 mars 2022.

Ravi.

Après nous avoir régalé avec deux romans* de genre, dits énigmatiques, à la manière de Marcel Aymé, Gaston Leroux ou encore de ce bon vieux John Dickson, voici que Romain Puértolas s’attaque cette fois au genre policier**. Le bandeau annonce la couleur : « Un fait divers dérangeant. Une vérité inimaginable ». Habile, face à la puissante concurrence des épatantes séries Netflix sur les criminels de tous poils, EpsteinThe Tinder Swindler ou Bad Vegan pour ne citer qu’eux.
Voici donc Les Ravissantes**, un vrai-faux polar à la croisée d’Agatha Christie et de Stanislas-André Steeman. La première parce qu’elle avait la coquetterie de persiller ses romans d’indices qui disaient le coupable mais auxquels on ne prêtait pas vraiment attention, comme Le meurtre de Roger Ackroyd, par exemple, et que Romain use beaucoup de ce procédé — soyez donc vigilants en lisant. Et le deuxième, qui nous régala en son temps avec L’assassin habite au 21, qui possédait le don de nous arracher cette exclamation à la fin : Ah, la, la, la, je le savais, je le savais ! — mais on sait très bien qu’on ne savait rien du tout. Bref, Romain s’amuse et nous ravit avec cette histoire américaine qui mêle petite bourgade, enlèvements d’adolescents, secte, bon vieux sheriff, bagnoles d’époque, diner où l’on trouve la meilleure omelette du monde, le chiffre 5, même un John Smith testeur de lits d’hôtels et quelques ovnis (nous ne sommes pas loin de Roswell, Nouveau Mexique), et surtout, nous manipule avec ses fausses vraies ravissantes.
Un livre agréablement léger malgré son poids de 420 pages, écrit en deux mois selon l’aveu de l’auteur, page 421, à Malaga***, ce qui me laisse… asombrado mais ravi.

*La police des fleurs, des arbres et des forêts (2020) et Sous le parapluie d’Adélaïde (2021), chez Albin Michel.
**Les Ravissantes, de Romain Puértolas. Éditions Albin Michel. En librairie depuis le 1 avril 2022. (Sérieux).
***Où l’on a arrêté en septembre dernier des trafiquants avec 344 kilos de cannabis. Mais bon, cela n’a sans doute rien à voir.