350 feuilles d’amour.

Voici un livre* qui ne doit pas être facile à vendre pour un libraire.
Brad Watson, qui a mis 13 ans à l’écrire, 13 ans, mon dieu – le temps qu’il faut à Nothomb pour publier 13 livres –, nous raconte l’histoire, en 1915,  de Jane, petite fille du Mississipi dont on découvre qu’elle est incontinente. Pas de sphincter. Un intérieur complet mal mais mal monté. À cinq, six ans, une petite fermière qui lève sa robe et fait dehors comme les animaux c’est charmant. Un peu plus tard, ça l’est moins. Et de moins en moins. Et encore moins quand un joli garçon tourne autour d’elle, qui lui plait bien, mais qu’elle oblige à s’éloigner d’elle, le cœur en capilotade, les tripes à l’envers.
Jane grandit dans la ferme familiale. Comprend un jour de quoi elle est privée puisqu’il est probable qu’elle ne pourra non plus avoir d’enfant, lui avoue un épatant docteur, ni même pouvoir essayer d’en faire car la médecine n’est pas encore prête pour ce genre d’opération.
Page 136, sont les vingt plus belles lignes du monde sur la sensualité et je comprends mieux le temps qu’il a fallu à Watson pour écrire son livre. Tellement de délicatesse dans ce texte. De beautés. À commencer par l’amour fabuleux d’un père au chagrin immense jusqu’à la force de caractère, l’immensité d’âme d’une héroïne hors du commun, probablement inoubliable.
Miss Jane est un grand livre qui parler l’amour en parlant du manque. Et s’il est vrai comme le prétend Italo Calvino qu’« Un classique est un livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire » alors Miss Jane est un livre immortel.
Alors, aurais-je fait un libraire convenable ?

*Miss Jane, de Brad Watson. Éditions Le Livre de Poche. En librairie depuis le 27 mai 2020. Précédemment publié par Grasset. Encore un immense merci à Florence Mas.