Author Archive | Grégoire Delacourt

Le kourrage de Fabienne.

Il en aura fallu du courage, et de l’amour, à Fabienne Legrand pour écrire ce livre, raconter l’histoire triste et belle (puisqu’elle finit bien) de son fils Antoine, son p’tit con, comme elle l’appelle, son trou du cul, frappé à 17 ans, l’âge où l’on ne devrait que mourir d’amour, d’une méningite foudroyante de type W135, une saloperie qui engage son pronostic vital. Le choc passé, la violence encaissée, voilà Fabienne qui choisit le rire (le vie) au lieu de la colère (la mort). S’installe alors une formidable chaine de solidarité autour de cette maman qui rit et de ce fils qui pleure. Kourrage Antoine est le récit de cette épopée improbable, cette fabuleuse chasse à la baleine qui s’appelle l’espoir, portées par une écriture qui virevolte et nous cueille d’un rire là où l’on devrait s’effondrer. Un livre immense puisqu’il chante la vie, l’humour et l’amour. À recommander d’urgence à tous ceux qui tirent la gueule parce qu’un minuscule virus les empêche, les pauvres chéris, de traîner en terrasse, une bière à la main, une clope au bec.

*Kourrage Antoine, de Fabienne Legrand. Éditions Le Cherche-Midi. En librairie depuis le 8 octobre 2020.
Et comme un plaisir ne vient jamais seul, Fabienne qu’on aime tant pour ses célèbres albums illustrés (Absolument fabuleuse, Un été au Cap Ferret) a illustré ce livre. Un régal de plus.

La Providence.

J’ai reçu un étonnant petit livre. Il s’agit de La Providence, signé d’une certaine Michelle Brun. Dans la lettre qui l’accompagnait, elle m’expliquait m’avoir découvert au travers du cadeau qu’on lui avait fait de mon dernier roman, Un jour viendra couleur d’orange, et qu’elle en avait été captivée, je cite : « Je ne l’ai pas lâché sauf pour dormir et manger ». Et la voilà qui m’adresse son livre dont le titre me fit frissonner puisqu’il est le nom du pensionnat où j’ai passé tant d’années à Amiens, même si le dessin figurant sur la couverture évoquait un bien autre lieu. (Il s’agit en effet d’un orphelinat sis au cœur du quartier Saint Joseph à Clermont-Ferrand).
Voici donc un opuscule de souvenirs écrit par une femme dont on apprend qu’elle est née en 1953 et qu’elle s’est retrouvé à 6 ans à l’orphelinat, qu’elle y a grandi, ri avec une amie dont le corps était à moitié brûlé car elle est « tombée dans une bassine d’eau bouillante quand j’étais Bébé » (page10), que plus tard, elle écoute Johnny Hallyday, « les sœurs le surnomment La gouttière car il sue beaucoup » (page 25), et voilà qu’elle a 11 ans, toujours pas ses règles mais de grande taille, écrit-elle, et que sa mère Simone a le droit de la « prendre chez elle un dimanche après-midi par mois ». Simone habite désormais avec un certain Marcel avec lequel elle a un bébé. Marcel entraîne Michelle à la cave, la couche sur un carton déplié et « après quand il a fini et que j’ai mal à ma zézette, il chante en montant l’escalier dans la vie faut pas s’en faire moi je m’en fais pas » (page 35).
En quelques pages tout est dit, tout est avoué, sans fioritures, dans une écriture profondément « sociale » ai-je envie de dire, une voix comme je n’en avais encore jamais lue, faite de brutalité douce, de violence sans haine, d’évidence glaçante et si fragile à la fois.
La Providence est une étonnante bousculade ; un texte venu de nulle part dont les mots télescopés, comme des silex, ont fait des étincelles dans mon cœur. Un texte comme on n’en trouve pas, à l’image de ces souffrances qu’on ne voit pas.

*La Providence, de Michelle Brun. Texte auto édité (7,5 €). Je suppose que vous pouvez le commander directement chez l’auteur : michelle.brun@orange.fr

Un conte pour les grands.

Notre petit monde ne va pas bien. Il est même très malade. La haine. L’argent. Le pouvoir. Toutes ces choses qu’on connaît et contre lesquelles on ne fait plus rien depuis belle lurette. Les méchants s’apprêtent à utiliser les armes monstrueuses (qui ont fait leurs preuves à Nagasaki et Hiroshima) pour avoir plus de pouvoir encore. Et voici que des Frères inattendus* arrivent, désarment la Terre de toutes ces saloperies, la répare, soigne les hommes et fait rêver à un monde meilleur, une chanson de Beatles, Imagine – pour ne pas la citer ; un monde où « La mort est le seul ennemi qui mérite d’être combattu, pourchassé, vaincu » (page 326) et dont le combat devrait nous unir tous, frères humains. Dans son dernier livre, Amin Maalouf nous livre, sous forme de suspens, un bien agréable conte philosophique sur cette Atlantide perdu où les hommes s’aimeraient enfin. Il y a du Barjavel dans cette histoire, un vieux rêve dont on sait qu’il ne verra jamais le jour mais qu’il a été confortable de rêver.

PS. Comme Maalouf est un malin et que le mal qu’il décrit a un fantastique écho avec la pandémie du moment, il écrit, page 301 : Mais quelle arrogance est pire que celle de l’homme qui prétend décider à notre place si nous devons préserver de la maladie et de la mort les êtres qui nous sont chers ? Ceux qui expriment de telles prétentions sont des hommes d’un autre âge qui ne devraient certainement pas se trouver à la tête d’un pays avancé et libre comme le nôtre. (Si vous connaissez l’un de ces zigotos qui nous gouvernent, merci de lui conseiller ce livre).

*Nos Frères inattendus, de Amin Maalouf. Éditions Grasset. En librairie depuis le 30 septembre 2020.

Femmes en colère.

Un an après le virtuose Disparaître, revoici Mathieu Menegaux avec un implacable Femmes en colère (qu’on aurait d’ailleurs pu écrire au pluriel tant elles sont nombreuses) qui raconte la journée de délibérés d’un jury d’assises qui a à décider de la condamnation et de la peine de Mathilde Collignon. Après avoir été une victime elle-même, et pas des moindres, Mathilde Collignon s’est sérieusement vengée de ses deux tourmenteurs (ah la fabuleuse description de sa vengeance !). Le débat est tout de suite posé. A-t-on le droit de se faire justice soi-même (surtout quand elle fait si peu son travail) ? Peut-on juger pour réparer et non pas seulement condamner ? L’époque des Weinstein, #MeToo et autres influe-t-elle la façon même de penser le mal ? Et enfin, peut-on se servir de la justice pour être juste ? À toutes ces questions, Mathieu apporte des éléments de réponses intelligentes dans un style littéraire d’une précision, d’une élégance et d’une efficacité hors pair (Prends garde, Grisham). Last but not least, tout cela au travers d’un suspens formidable (je n’ai pas pu ne pas le lire d’une traître) assaisonné d’un final digne des plus grands rebondissements de cinéma comme l’aime tant Mathieu. In fine, un portrait de femme inoubliable (et espérons-le, bientôt un sacré film) comme il en a le secret depuis l’invention de Claire, l’héroïne de Je me suis tue et qui interpelle remarquablement les hommes d’aujourd’hui. Verdict, brillantissime.

*Femmes en colère, de Mathieu Menegaux. Éditions Grasset. En librairie depuis le 3 mars 2021.

D’excellentes nouvelles de Frank Andriat.

On se demande toujours ce que deviennent les amis écrivains en ces temps incertains de confinement, couvre-feu, restrictions, librairies fermées, masques sur la gueule, resto interdits, voyages reportés, espérances limitées. Certains, ai-je appris, n’ont plus la niaque pour écrire. L’imagination s’est carapatée, les murs ont poussé et caché l’horizon. Il ne semble pas que ce soit le cas de Frank. Le revoici avec un livre de six longues nouvelles toutes plus formidables que les autres (même si j’ai un faible pour La notification,page 91) ; des histoires qui ont la particularité de toutes se passer dans un train ou pas loin, et de dérailler un peu, beaucoup, passionnément, comme dans la vraie vie. L’écriture de Frank s’est faite ici précise et envoûtante, comme un trajet en Orient-Express : pas de gras, pas de mots de travers ni d’inutiles fioritures. Le luxe des mots à l’état pur. Achetez vite votre billet. 16 euros pour six voyages inoubliables, émouvants, cruels parfois, c’est donné.

*Lorsque la vie déraille, nouvelles, de Frank Andriat. Éditions Quadrature (dont je salue au passage le fantastique travail qu’ils font pour défendre les nouvelles de langue française). En librairie depuis le 10 février 2021.

Oh, le joli livre !

Voici Vinca Van Eecke, 45 ans, études de lettres à Dijon après avoir passé son enfance, métier du papa oblige, à Dakar et à Abidjan. « La France ça a été un choc, dit-elle. Le froid. Les gens fermés. Lycée privé catholique ». Et une maman qui lui donne la passion des livres. Ah, les mères. Quelles fées. Et voici son premier roman, Des kilomètres à la ronde, une petite merveille d’écriture, de délicatesse et de poésie. Un roman beau et âpre sur les jeunesses gâchées, les bandes qui traînent, les gars qui rêvent, les filles qui tombent amoureuses. Parmi elles, la narratrice, « la fille de la bande », dingue de Jimmy. Les étés passent, inutiles et vains, dans un parfum de Bogdanovich et de son inoubliable The Last Picture Show auquel ce livre me fait penser. Les corps grandissent, les désillusions aussi. Le monde des adultes n’a pas gardé de place pour ces gamins grandis de guingois. L’horizon est au bout de la rue. Le supermarché. La quincaillerie. On épouse finalement la fille de la voisine. Il n’y a rien de triste dans cette histoire ; juste le temps qui pour eux est passé de cette façon-là, leur a laissé ça. Ces petites ronces qui font les vies. C’est le premier roman de Vinca Van Eeke. Une première beauté magistrale. 

*Des kilomètres à la ronde, de Vinca Van Eecke. Éditions du Seuil. En librairie depuis le 20 août 20.

Autopsie d’un roman.

Autopsie signifie précisément voir de ses propres yeux. Par extension : disséquer un cadavre pour tenter d’y trouver les causes de la mort. Dans cet Autopsie d’un drame1, après l’épatant Anatomie d’un scandale2, Sarah Vaughan s’attaque à cette terrible suspicion de maltraitance d’enfant. Un suspens formidablement bien troussé, ainsi que les anglaises en ont le secret. Une mère dépressive, un bébé qui arrive aux urgences avec un important traumatisme crânien, des incohérences dans l’emploi du temps, une enquête de police, doutes, soupçons ; comme d’habitude, il faudra attendre la fin pour que la mécanique du drame se révèle. En disséquant le roman, j’y ai aussi vu ce qui lui causait un peu de tort. Pourquoi diantre l’enquêteur (en l’occurrence la pédiatre) doit-il lui aussi avoir connu un drame comparable à celui mis en scène, un passé hanté par les mêmes suspicions ? C’est lourd, inutile, et surtout ajoute 150 pages à un livre déjà fort copieux (440 pages, corps 12). D’autant que le passé de Liz (la pédiatre) n’éclaire en rien le présent de Jess (la maman soupçonnée de maltraitance). Ce n’est que mon modeste avis, à prendre avec des pincettes sans doute puisque selon celui de Paula Hawkins, auteur de La fille du train3, il s’agit ici d’un livre « Captivant, intelligent et intense » ; enfin, vous verrez… par vos propres yeux.

1.Autopsie d’un drame, de Sarah Vaughan. Éditions Préludes. En librairie le 10 mars 2021.
2. Anatomie d’un scandale, éditions Préludes (2019) puis Livre de poche (2020).
3.La fille du train, le best-seller de Paula Hawkins chez Pocket.

Un peu de Bleue dans tout ça.

Surprise. Il n’y a pas que les romans dans la vie. Il y a les livres d’art* qui permettent de découvrir un artiste qui écrit avec d’autres mots que les mots et surtout d’en savourer parfois la préface, ici signée de Michel Persitz dont on se souviendra du sublime Juif de Personne (Lattès, 2020). Il nous présente Bleue Roy. « Son père avait la silhouette inébranlable des phares bretons. Elle a hérité de son fier maintien, un port de tête droit, le menton levé, le regard direct, franc et clair. Pour beaucoup, chez une femme, c’est déjà trop ». Davantage qu’une simple présentation convenue d’un peintre brillant par un auteur brillant, voici un texte d’amour fou, comme il y eut des merveilles entre Éluard et Gala ou Aragon et Elsa. 

*Bleue Roy, Jubilant Abstraction. Balzac Publishing, 6502 San Vicente Blvd, Los Angeles, USA.