Archive | Bouquins.

Feel pas good.

Voici l’histoire* de Rose, biologiste de 29 ans qui travaille sur la luciole Lamprohiza spendidula dont une molécule pourrait bien 1) accélérer la cicatrisation de la peau et donc retenir les ravages du temps, en d’autres termes, être un anti-âge parfait et 2) être un traitement conte le cancer du sein et des poumons sans altérer aucune cellule saine, ni occasionner d’effets secondaires, humiliants souvent, douloureux toujours. Katherine Pancol en profite pour persiller son roman de mille histoires hallucinantes, drôles, ahurissantes parfois, d’insectes dans la phase sexuelle, un peu à la manière d’un fabuleux documentaire animalier, mais là n’est pas du tout le sujet de son livre. Son sujet c’est l’incapacité de Rose à trouver quelqu’un de bien, enfin, qui lui corresponde, avec lequel elle sera heureuse dans la vie et dans sa phase sexuelle. Car c’est là que ça bugue. Au lit**. À ce propos, elle nous offre la plus triste séance de cul qu’il m’a été donné de lire depuis l’envoutant Tralala*** de Selby Jr. (Pour les pressés, elle commence page 234). Sous couvert d’un « feel good » dont elle a la recette, Katherine nous offre cette fois le portrait délicat d’une enfance d’épines, une tragédie de grand-mère en mère et de mère en fille – exactement comme chez la Rhopalosiphum prunifoliae, cette coquine de puceronne capable d’engendrer trois générations en une fois et, du coup, de transmettre à chacune d’elle la même douleur. Bed bug est finalement un parfait feel pas good. On rit. Mais le rire est celui des démons.

*Bed Bug, de Katherine Pancol. Éditions Albin Michel. En librairie depuis le 30 octobre 2019.
**Mais pas que. On peut tout à fait envisager d’autres lieux qu’un lit. Une table de cuisine ; Une salle de cinéma. Une banquette d’autobus. Je laisse à chacun son imagination.
***Tralala, in Last exit to Brooklyn, de Hubert Selby Jr. Éditions Albin Michel (très belle réédition en 2014) et 10/18 (coll Littérature étrangère, 2015).

9102019

Voici donc le livre que j’avais évoqué lors de la présentation de Michel Persitz en août dernier alors qu’il était mon invité et qu’il nous parlait de Roman de Vladimir Sorokine. Ce magnifique texte est enfin publié après avoir vécu des péripéties dignes d’un roman de Le Carré : me voici donc, cet été 2018, invité chez un ami très cher à Soulac-sur-Mer. Est également présent Thierry Bisch, artiste peinte et motard (ce qui accélérera les amitiés). C’est lui qui le premier me parle de ce texte alors refusé, à son grand regret, par les principales maisons d’éditions parisiennes. Il n’en fallait pas plus pour me donner envie de le lire et voilà qu’il me l’envoie. Mais attention. En aveugle. C’est à dire sans le nom de l’auteur. Vois-tu, me dit-il (ce qui n’était pas exactement le cas), je sais que vous vous connaissez et je ne voudrais pas, ne sachant pas quel type de relation vous avez eu – dans la pub, en fait – que tu aies un a priori sur son livre. Pff. Je suis bien au-dessus de ce genre de mesquinerie. Bref. Je lis le livre dans les jours qui suivent et prends alors une claque dans la gueule. Juif de Personne* est un magnifique texte d’amour d’un fils à ses parents et peu importe qu’ils aient été à Auschwitz et qu’ils en soient sortis vivants, même si cela fait d’eux de « mauvais juifs », comment, tes parents ne sont pas morts en camps ? en ait fait des suspects, comme s’il y avait une honte à avoir survécu, ce chant d’amour est inoubliable, puissant, immémorial. Ébranlé, je l’envoie aussitôt à mon éditrice chez Lattès, apprends simultanément le nom de son auteur et l’appelle. Alors il me confesse que Lattès avait déjà refusé son texte et je me retrouve fort marri. Je joins alors mon éditrice, lui raconte la déconvenue de ce texte mais en profite pour lui faire part de mon enthousiasme absolu. Enthousiasmée par mon enthousiasme, elle le lit à son tour et à son tour est enthousiaste. Mais badaboum, voilà qu’elle quitte Lattès. Et laisse ce merveilleux texte dans son sillage. Véronique Cardi reprend la maison de la rue Jacob. Je la connais bien. Elle a été ma géniale éditrice au Livre de Poche pendant ces années, elle aime les défis, les bons livres, et lui parle de Juif de Personne. Dans ses remerciements, qu’il nomme « Reconnaissances », page 350, Michel écrit : « à Véronique Cardi, dont je savoure toujours le délicieux Bienvenue dans votre maison ! ». Un peu plus d’un an s’est écoulé depuis le déjeuner à Soulac. Mais le livre est là. Un survivant lui aussi. Du Le Carré, je vous disais.

*Juif de Personne, de Michel Persitz. Éditions Lattès. En librairie depuis le 9 octobre 2019.

Myriam la Rouge.

Avant ce deuxième livre, Myriam Leroy fut finaliste du Goncourt du premier roman*, ce qui n’est jamais anodin dans le genre « entrée par la grande porte » dans un monde qui les claque si vite. C’est dire si j’attendais ce nouveau texte** avec curiosité, publié au Seuil cette fois, dans la prestigieuse collection Cadre rouge. Et ma curiosité n’a pas été déçue. Voici une littérature nouvelle génération, qui écrit LOL, PTDR, emoji caca, emoji baiser, MDRrait, comme on écrivait avant « Il lui fit porter un télégramme », « Il éclata soudain d’un rire tonitruant », ou autres choses, et qui raconte le harcèlement facebookien d’abord, puis twitterien dont est victime la narratrice, une gauchiasse (je cite) de journalope (je cite toujours) de radio, par un certain Denis dont elle a refusé les avances sur les réseaux sociaux. De blagues de mauvais goût à l’injure, il n’y a qu’un clic. Un autre clic de l’injure à la cruauté. Les clics sont des balles. Et les balles tuent. En l’occurrence, la narratrice. (Ceci dit, tout cela est connu depuis bien longtemps – combien de gamins se sont déjà suicidés, sans qu’on n’y fasse rien ?). Mais, parce qu’il y a un petit mais dans mon enthousiasme, sous prétexte de dénoncer le mal fait aux femmes par ces réseaux masqués, dans une écriture déroutante  (« Pfiooou, j’étais pas dans la merde. Il ne savait pas ce que je lui avais fait mais le Denis avait un putain de dentier contre moi » – page 94), Myriam Leroy finit par trop charger la mule et opposer deux personnages tous deux bien désagréables, ce qui rend un peu vain son plaidoyer, malgré un improbable retournement final. (PS pour les lecteurs impatients : Vous pouvez commencer le livre à la page 156, là où débute la nouvelle intitulée « Les yeux rouges » et qui résume parfaitement les 155 précédentes pages. Une sorte de Si vous avez raté le début). Quoiqu’il en soit, voici un auteur à suivre.

*Ariane, aux éditions Don Quichotte (2018) et Points n° P5008.
**Les yeux rouges, de Myriam Leroy. Éditions du Seuil. En librairie depuis le 14 août 2019.

Le bout du monde est au bout de la rue.

Un peu d’air frais au milieu de cette rentrée littéraire avec un vieux livre* (2003) plein de poésie, de douceurs et de colères d’un petit garçon de l’âge du roman qui, en enquêtant sur l’assassinat à la fourche du chien du voisin, découvre les secrets d’alcôves de ses parents et décide de rejoindre l’un des deux, et va pour cela tenter la plus difficile des aventures qui soit pour un petit garçon Asperger : dépasser le bout de la rue. Dépasser ses peurs. Salué par Douglas Kennedy, Ian McEwan, ayant figuré dans les meilleures ventes du New York Times, Le bizarre incident du chien pendant la nuit est un formidable voyage dans notre enfance, un retour à l’époque où nous mesurions à peine un mètre de haut, où chaque bruit était bruyant, chaque adulte une montagne et chaque question sans réponse. Une sorte de « Petit Prince » ultra contemporain où l’astéroïde B 612 est cette fois la planète Terre, où le renard à apprivoiser n’est autre que la complexité des adultes et où la boite à six trous du mouton contient ce cœur que nous oublions parfois d’écouter. Le nôtre.

*Le bizarre incident du chien pendant la nuit, de Mark Haddon. Éditions Nil. En librairie depuis le 4 mars 2004 en France. Et aux éditions Pocket depuis le 15 septembre 2005. Prix Whitbread du meilleur livre de l’année 2003.

La beauté des mots, parfois.

Quelle joie de découvrir le merveilleux livre* de poésie d’un écrivain qui appartient davantage à la Terre qu’à un seul pays, qui fait de chacun de ses voyages des pas de géant vers l’autre et des plongées vertigineuses en elle-même, d’être convié par ses mots magnifiques dans cette intimité et surtout, invité à en faire la préface. Heureusement qu’il y a encore des poètes ici-bas. Sinon, il n’y aurait plus que la parole des fauves.

*Salt Water, de Laura Johanna Braverman. Publié en mai 2019 aux éditions Cosmographia Books à Rochester, NY.

Fournier n’est pas seul. Il est unique.

En 2005, Stéphanie Janicot avait déjà fait ce constat dans son livre de nouvelles Tu n’est pas seul(e) à être seul(e)* et il semble bien que, près de quinze ans plus tard, les choses ne se soient guère arrangées puisque Jean-Louis vient à son tour nous parler de la solitude dans son dernier livre (je dis « dernier » parce qu’avec lui on doit être prêt à tout) : Je ne suis pas seul à être seul**. La différence entre les deux livres tient essentiellement aux titres. Dans le premier, Stéphanie s’adresse à quelqu’un, « tu », elle n’est donc pas tout à fait seule. Dans le second, Jean-Louis, parle à « je », donc lui, la première personne qu’il croise. Il est donc beaucoup plus seul que sa consœur. Si Stéphanie livrait 16 nouvelles sur 182 pages bien denses, les 167 pages de Jean-Louis sont bien esseulées, clairsemées de quelques phrases tour à tour mélancoliques et drôles, oscillant entre un brin de potacherie : « le cubi de rosé est vide et mon ver solitaire » (page 146) et l’immense tendresse dont on le sait capable et qu’il ne peut s’empêcher de réfréner : « Depuis qu’elle est partie [sa chatte, Salomé], elle est partout. Avant, elle n’était qu’à un seul endroit à la fois, maintenant, je la vois partout » (page 101). Comme les vaches qu’il adore, Jean-Louis rumine sa solitude. Il en fait un chagrin. Une force, aussi. Même s’il est vieux (c’est lui qui le dit), qu’il en vient à aimer les moustiques qui lui tiennent compagnie (page 36) et qu’on ne l’appelle plus, il nous rappelle qu’il n’a rien perdu de son regard amusé sur le monde, de son cynisme nécessaire et nous prouve, s’il en était encore besoin, qu’il est unique.

*Tu n’es pas seul(e) à être seul(e), de Stéphanie Janicot. Éditions Albin Michel en mai 2005. Puis au Livre de Poche depuis le 9 juillet 2008.
**Je ne suis pas seul à être seul, de Jean-Louis Fournier. Éditions Lattès. En librairie depuis le 2 octobre 2019.

Amore sempre.

Il y a des abîmes infinis en Italie. La fontaine de Trévi, à Rome, dans laquelle danse Anita Eckberg. Stromboli, où Ingrid Bergman glisse dans les bras de Mario Vitale. Capri, la villa Malaparte, Bardot qui chute, nos cœurs qui chavirent. Et maintenant, Emma. Merci merci à Francesca Cristoffanini, ma fantastique éditrice de DaA Planeta Libri.

À table !!!

Alors voilà. De temps en temps on prend un livre* (en l’occurrence, celui-ci je l’ai reçu, merci Anna Pavlowitch) sans trop savoir ce qu’il y a à l’intérieur et, sans lire la quatrième car après tout il faut parfois vivre dangereusement, on y entre, à l’intérieur, et là on se demande dans quoi on vient de mettre les pieds. Voilà qu’un virus a décimé pratiquement tout ce que la terre compte d’animaux et que très vite se pose le problème : Maman, qu’est-ce qu’on mange ? Car s’il n’y a plus d’animaux, donc de mammifères, donc de ruminants, donc de bœufs, donc de filets, de poires et de merlans, se repose la question : Maman, qu’est-ce qu’on mange ? Et la réponse d’Augustina Bazterrica, dont c’est là le premier roman, est absolument belle et osée et révoltante et empêcheuse de penser en rond. Les hommes. On mange les hommes, les enfants. Et les femmes. Et les enfants. On se mange. Et nous voilà à suivre ce monde où les animaux, c’est nous. Nous, dans les abattoirs (et ce que nous montre L214 tient de la fabrique de bonbons à côté). Nous, en sauce. En petits plats. En produit de différentes qualités. Différents morceaux. Et soudain, non pas la nausée, mais un regard absolument différent sur ce qu’on mange. Sur ce que nous sommes. Outre sa virtuosité comparable à celle de Soleil vert en son temps (j’insiste sur cette notion de temps), la réussite de ce roman est qu’il évite tout militantisme, tout véganisme, toute intolérance aux goûts de l’autre. Non. Augustine Bazterrica nous pose une équation. Sa solution est en chacun de nous. Comme dans ce personnage du livre qui décide, lui, de traiter l’homme, pardon, la viande, comme un être humain. Et c’est bouleversant. Bon appétit.

*Cadavre exquis, de Augustina Bazterrica. Traduit de l’espagnol par Margot Nguyen Béraud. Éditions Flammarion. En librairie depuis le 21 août 2019. Prix Clarin 2017. (Bravo au graphiste pour la formidable image de la couverture).