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Le livre écarlate.

Margaret Atwood.

Ce qu’il y a d’assez épatant avec certains livres d’anticipation, c’est que tôt ou tard, ils deviennent dépassés. Prenons 1984. Un futur glaçant dont on se moquait en pensant que c’était impossible, ridicule même. Et voilà. 1984, nous y sommes. Big Brother s’appelle Facebook, Apple, Twitter, Google. Nous sommes sans cesse surveillés, espionnées, traquées. Même le centre commercial « Les Quatre Temps » à La Défense y va de son espionnite. Mais nous restons heureux, hypnotisés, fascinés que nous sommes de pouvoir échanger gratuitement nos photos de bouffe en tous lieux, écouter de la musique gratuite où l’on veut, voir gratuitement des films où que l’on soit –méfiance. Tim Cook, président d’Apple, a dit un jour : Quand c’est gratuit c’est que c’est vous le produit. Et il nous le démontre chaque jour, ah, ah. Pour l’anecdote, je me rappelle avoir moi-même écrit un film important pour Apple en 1989, qui dénonçait la toute puissance du pouvoir de la pensée et je crois, malheureusement, qu’Apple est devenu ce qu’il combattait alors.
Voici donc le retour d’un grand texte dystopique d’anticipation, La Servante écarlate*, paru pour la première fois en 1985, qui met en scène un monde (américain) où des fanatiques religieux ont pris le pouvoir, et dans lequel les femmes sont à nouveau infra-humaines (sauf celles de la caste supérieure**, bien sûr). L’histoire est racontée par Defred, une de ces servantes, destinées à la reproduction, mais surtout par celle qu’elle était avant, au temps des souvenirs heureux, au temps de la liberté, des livres et de l’amour. Depuis l’élection de Trump, ce livre est devenu un manifeste dans la main des femmes, et Emma Watson en cache même des exemplaires dans tout Paris. Enfin, vient de sortir une série télé*** avec l’excellente Elisabeth Moss (absolument parfaite dans Mad Men) qui montre à quel point la liberté des femmes est encore bien fragile. On ne pourra pas dire cette fois que nous n’étions pas prévenus.

*La Servante écarlate, de Margaret Atwood. Édition Pavillons Poche / Robert Laffont en librairie depuis le 8 juin 2017. (Le titre de cet article est un clin d’oeil à la formidable La Lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne, où une femme est condamnée à porter la lettre A de l’adultère, pour avoir aimé).
** Ce qui fait écrire à Atwood dans sa postface, page 519 : « On a souvent qualifié La Servante écarlate de «dystropie féministe» mais ce terme n’est pas strictement approprié. Dans une dystropie féministe pure et simple, tous les hommes auraient des droits bien plus importants que les femmes. »
***http://culturebox.francetvinfo.fr/series-tv/la-servante-ecarlate-une-serie-derangeante-qui-arrive-en-france-258559

Ah, l’éternel débat.

Delacomptée.

Lettre de consolation à un ami écrivain, de Jean-Michel Delacomptée. Éditions Robert Laffont. En librairie depuis le 15 septembre 2016.
PS. L’analyse de Delacomptée à propos de Christine Angot (seize pages quand même, de 103 à 119 ) est assez cocasse en ce jour où nous apprenons qu’elle va remplacer Burgraff au côté de Moix dans la prochaine saison de On n’est pas couché.

(Une parenthèse).

Pronzini1.

Une petite pause après tant de bons romans (chroniqués ici) et de moins bons (poubelle), avec un polar découvert au hasard d’une balade dans Paris, chez un bouquiniste côté Pigalle (livre très propre et sans rides malgré ses vingt-cinq ans d’âge, tranche intacte, absence de moisissure en bas à droite des pages) et surtout un pitch, un spoiler comme on dit maintenant (cf photo ci-dessus) épatant. Un brin stephenkinguien.
Deux heures d’évasion avec un roman de genre, un policier, un vrai, à la manière des années 50 (bien qu’écrit en 1988), comme les adorait Marcel Duhamel (créateur inspiré de la Série Noire) : un héros fait d’un bloc (détective/père alcoolo et violent/rapport délicat, prudent, aux femmes), un méchant fait d’un trait (féminin/complexe/traumatisé) et un suspens comme une autoroute (dont Rédemption serait le nom de la dernière sortie). Bref, une parenthèse avec un bon polar noir. Velu. Odorant. (Un truc de mec, quoi).

*Le Carcan, de Bill Pronzini, éditions Gallimard, collection Série Noire (n°2181).

Eine gute Nachricht.

Aujourd’hui, L’Écrivain de la famille sort en Allemagne. Comme c’est le jour de la Saint Thomas, il faut le voir pour le croire, alors voilà.

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L’homme qui embellit la vie.

Il est des personnes dont je connais le visage mais pas le nom, ou le nom mais pas le visage. C’est le cas de Maurice Baquet. Enfin, c’était. Parce que Hervé Bodeau a eu la bonne idée de recoller les deux morceaux* et de nous rappeler qui était l’immense petit Baquet haut comme trois pommes. Je ne vous citerai pas ses films, téléfilms, théâtres et opérettes – la liste fait huit pages dans le livre – mais vous dirai juste ma joie à découvrir un artiste pour lequel il semble que l’idée même de la joie ait été inventée. Voici ce jeune garçon né en 1911 dans une famille digne des Vanderhof, musicienne et joyeusement bordélique, qui va devenir un violoncelliste hors-pair, un montagnard émérite (ses descentes d’escaliers à ski furent célèbres), un acteur ébouriffant, un chanteur d’opérette doué, un membre du fameux groupe Octobre (où l’on comptait Jacques Prévert, Raymond Bussières, Yves Allégret, Mouloudji, Roger Blin, Jean-Louis Barrault, etc), un show-man américain à Hélas Angeles (pour reprendre le mot de son ami Doisneau), un père de famille nombreuse et tout aussi joyeuse. Maurice Baquet a traversé le siècle dans la bonne humeur, malgré, dit-il un contretemps (qui) survint : la guerre, et semé tant d’éclats de joie qu’il fut la preuve que la vie est belle, comme dans un Capra, mais en vrai, cette fois.
Il faut d’urgence lire ce livre. D’urgence rencontrer Maurice Baquet, faire le plein de joie à son contact et redécouvrir la puissance de l’amitié ; pensez qu’il fut celui de Doisneau, Prévert, Picasso, Renoir, Frison-Roche, tant d’autres qui nous font encore rêver aujourd’hui. Quel bonheur !

PS. (Décidément, je suis bavard aujourd’hui). Parmi tous les enfants de Maurice, il en est un que je connais et admire, c’est Grégori. Acteur d’une puissance inouïe, toujours touché par la grâce, il a, entre autres spectacles, émerveillé sur scène le texte de Wajdi Mouawad, Un obus dans le cœur, de Kessel, Les Cavaliers, et bientôt, et j’en suis ému, au-delà des mots, On ne voyait que le bonheur, en Avignon, dès le 6 juillet, au Théâtre Actuel.

Maurice Baquet

*Maurice Baquet, Portrait avec Violoncelle, de Hervé Bodeau. Guérin, éditions Paulsen. En libraire depuis novembre 2016. Bravo à l’éditeur d’avoir joint au livre de Bodeau un livre de photos qui retracent une partie de la route de Baquet. Celles de Doisneau sont d’une émouvante poésie surréaliste .

 

Une allure folle.

Isabelle Spaak

Isabelle Spaak, à la fois petite-fille et fille, raconte* la relation mère-fille de sa grand-mère, elle-même fille-mère, et de sa mère, pas celle de l’arrière grand-mère, mais de la sienne.
Bon. Je recommence.
Mathilde est la grand-mère d’Isabelle Spaak et Annie, sa mère. C’est sur les trajectoires de ces deux femmes que la fille et petite-fille (c’est plus fort que moi) se lancent. Dès le départ, la route est passionnante. Spaak enquête avec la ténacité d’un limier et l’émerveillement d’une femme qui croise l’histoire de sa mère et de sa grand-mère. Et quelles histoires ! Celle de Mathilde, à la sulfureuse réputation, dans le Bruxelles du début du siècle (dernier), entretenue et engrossée par « Armando Farina, citoyen italien très fortuné, marié à cette Madame Carentzi Margarete » (page 107), véritable personnage warthonnien. Et celle d’Annie, sa fille, (la maman d’Isabelle donc,) défigurée à quinze ans dans un accident de voiture, refigurée, si je puis dire, grâce à « une opération de la dernière chance menée par les docteurs Dufourmantel et Darcissac, deux chirurgiens réputés qui s’étaient fait la main sur les gueules cassées de la Grande Guerre, greffant, coupant, reconstruisant cette charpie » (page 101). Plus tard, Annie, maumariée comme l’aurait chanté Reggiani, quitte son mari et ses trois enfants pour un coup de foudre (tiens, tiens) avec lequel elle aura trois autres enfants, dont Isabelle.
Au-delà de ces deux incroyables figures qui traversent plus d’un demi-siècle européen d’une incroyable brutalité, c’est finalement le lien fascinant entre elles qui apparait. Et lorsque l’une meurt, l’autre « se meurt » quinze jours plus tard, dans une saisissante violence.
Mais comme la vie réserve toujours plus de surprises qu’un livre, à la toute fin du sien, Isabelle Spaak, nous dévoile qui était vraiment sa maman et donne la clé de la vraie beauté du chagrin.

*Une allure folle, Isabelle Spaak. Editions Le Livre de Poche. En librairie depuis le 10 mai 2017.

« En ces temps de guerre sans guerre ».

Voici un texte admirable.
Un texte d’amour à la langue française, cette langue qui a poussé dans le cœur d’une petite roumaine – à cause de ses rêves de Paris, de Sorbonne et de quelques livres, une gamine qui fête ses huit ans le jours où les russes envahissent Prague, qui grandit dans des mots bancals, que l’on doit taire ici, que l’on pourrait crier ailleurs.
Le Cimetière des abeilles* est un magnifique récit d’un voyage extérieur, qui va la conduire, non pas à Paris puisque les frontières sont alors fermées, mais à Montréal où l’on parle un français ; et intérieur, à l’endroit même de cette langue nouvelle avec laquelle elle livre des bribes de souvenirs, des odeurs de thym, des douceurs de tricot et des langueurs de miel. « J’ai mal aux joues. J’ai aussi mal aux lèvres, tordues autour des mots dont elles n’ont pas l’habitude. » écrit-elle page 45, dans cette langue qui n’était pas la sienne mais qu’elle aimait tant. Et lorsque qu’elle quitte enfin la Roumanie et se demande quoi emporter, c’est, écrit-elle page 152, « avec le livre de recettes de ma mère (…) je me suis prémunie contre la famine ».
Un livre de mots pour n’avoir plus jamais faim.
Ce cœur de mots qui sont justement son cœur, Alina les polit pour nous entraîner avec grâce à la lisière d’une langue merveilleuse, poétique, généreuse et grave. La nôtre. Celle qui peut tout dire, les violences comme les effarements, les joies comme les délicatesses, dès lors qu’elle abandonne un seul de ses mots. Cynisme.

Le livre est sorti aux Canada en novembre 2016, où Alina me l’a offert lors du Salon du Livre de Québec. Vous le trouverez sur Internet ou à La Librairie du Québec. (Le titre de ce billet est extrait de la page 162).
*Le Cimetière des abeilles
, Alina Dumitrescu. Éditions Triptique (Montréal).