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La plupart des alpinistes meurent dans leur lit.

C’est écrit, page 164 ; et c’est une phrase qui, si elle peut résumer une vie, résume ce livre* formidable. Je ne connaissais pas Paul Veyne (pas de veine, dirait-il), sans doute parce que je ne me suis pas (encore) intéressé à son travail d’historien de Rome, spécialiste de Foucault, admirateur de René Char, « ce colosse colérique et conquérant ».
Paul Veyne est un alpiniste de la vie. Un aventurier de son époque. Un très chic professeur du Collège de France (dont la seule grande obligation est d’y faire 16 heures de cours –on dit conférence d’ailleurs… par an). Il a 84 ans. Son livre de souvenirs a la plume légère d’un jeune homme et l’élégance de celle d’un homme, puisqu’elle n’est jamais revancharde. J’y ai découvert une personne qui aimait sa vie. Je l’ai refermé en quittant un père à qui son fils manquera toujours, un homme qui aimait deux femmes qui l’aimaient, un ami que je regrette de ne pas (encore) connaître.

Veyne

* Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas, de Paul Veyne, aux éditions Albin Michel. Prix Femina de l’essai 2014.

Bien avant l’heure.

Siodmark

Écrit en 1942, publié par Gallimard en 1949, ce roman noir dont Gaston Gallimard disait aux détracteurs du genre que, s’il les éditait, « c’est parce qu’il faut bien que je paye mes poètes », est une merveille d’anticipation, bien avant 1984 ou, plus récemment, la série Real Humans. Voici l’histoire du cerveau d’un nabab (corps explosé dans le crash de son avion) qui prend doucement possession de la chair, des viscères, des yeux, des mains d’un autre. Il l’envahit. Le manipule. Le soumet. Un petit cousin du Démon de Selby Jr. Sans le savoir, Siodmak – qui était surtout scénariste de films d’horreur, signait un texte glaçant sur la manipulation ; à considérer sérieusement, à l’heure où ni Google, ni Facebook, ni personne d’ailleurs, ne nous possède, ne nous utilise, ne nous vend, ni ne nous ment.

Le cerveau du nabab, de Curt Siodmak, éditions Gallimard, Série Noire. (Il reste quelques occasions sur fnac.com).

Le Grand Méchant Loup.

Trévidic

Voilà un livre formidable. Un texte brillant et drôle qui nous raconte la naissance du PMJ (Petit Méchant Juge) sous le bon et judicieux François Ier, ses affres à travers la grande Histoire, ses victoires, ses défaites, jusqu’à, récemment, un certain « ancien président qui voulait le redevenir » (espérons que nous aurons la mémoire longue) et qui voulait sa peau, purement et simplement, selon le principe qu’un Juge mort ne fouille pas dans les poubelles du scandale. Marc Trévidic a la plume vive, pleine d’esprit et d’humour ; sa fable, fille de Voltaire et La Fontaine, nous entraîne là où nous ne sommes pas les bienvenus, nous les Petits Cochons – même pendant les Journées du Patrimoine : au cœur du Château et de cette caste qui, décidément, vit dans un monde sans nous. Marianne, reviens !

Qui a peur du Petit Méchant Juge ?, de Marc Trévidic, éditions Lattès. En librairie.

Toujours debout.

Chalendon

Il y a un an, Sorj avait le cœur qui battait plus vite. Il était sur la dernière liste du Prix Goncourt  – il ne l’aura pas (c’est Pierre Lemaître) mais obtiendra le Prix Goncourt des Lycéens, trois semaines plus tard, pour son magnifique, son immense roman.
L’histoire folle et belle d’un homme qui rêve de monter l’Antigone d’Anouilh à Beyrouth. De prendre à chaque camp un fils, une fille, un ami, un frère, et de les faire se rassembler sur scène (en parlant de scène, oubliez la Comédie Française, imaginez plutôt, comme lieu de théâtre, un jardin bombardé, des gravats assassins, une cour sans rires). De faire oublier la guerre, pendant deux heures.
L’histoire de cet homme qui meurt à l’aube de son rêve, et, à l’agonie, en confie la réalisation à un lointain ami ; un français, petit théâtreux de faubourg. Nous sommes en 1982. Le théâtreux va partir. Et il va nous embarquer dans l’une des plus belles histoires d’humanité.

Le quatrième mur, de Sorj Chalandon, éditions Grasset et Livre de Poche.

Pas mal.

26 oct 14 photo

Comme un coquillage, approchez ce livre de votre oreille. Vous entendrez des cœurs qui battent et se battent, une mitraille de 1936 ; des mots qui s’entrechoquent, du langage sans filet, du vocabulaire d’utopies, des mots d’amour qui n’en parlent pas ; vous entendrez des sons nouveaux, sortes de boutures d’espagnol et de français ; la voix de Georges Bernanos, son indignation contre la guerre civile espagnole, et surtout contre l’immense silence approbateur de l’Église ; vous entendrez une parole de lumière, une parole de ténèbres ; vous entendrez un très grand livre, une musique de guerre et de paix ; une Salvayre, comme un opéra jubilatoire.
Pas pleurer, de Lydie Salvayre, éditions du Seuil. En librairie. Et Prix Goncourt 2014 depuis le 5 novembre.

Retour vers le futur.

Enfin, je retrouve l’Angst (et même le das Wovor der Angst) d’Heiddeger et l’angoisse de Sartre, qui me rappellent ces si beaux concepts de nos années estudiantines ; il nous faisaient débattre et nous battre et veiller jusqu’à l’aube, à Lille, à l’Étoile de Tunis, avec du Sidi Brahim (14,5%vol, quand même), en réinventant le monde, et surtout en essayant de nous y écrire une place. Catherine Monnet nous apporte enfin les réponses que nous cherchions alors dans l’impétuosité de nos dix-huit ans ; nous offre la clé. Celle de la reconnaissance de soi, cette première naissance philosophique au monde ; nos premiers pas vers le respect de soi, celui des autres et surtout l’Anerkanntsein (être reconnu) d’Hegel qui fait de chacun de nous une personne unique. Ouf.

17 oct 14 photo

La Reconnaissance –La clé de l’identité, Catherine Monnet, éditions L’Harmattan, déjà en librairie.

Dargent, une parole en or.

10 oct 14

J’aurais du apporter des fleurs, d’Alma Brami, au Mercure de France. 154 pages de lâchetés, de douces cruautés et finalement, sur l’apprentissage de la tendresse de soi.