Au printemps, « On ne voyait que le bonheur » fait le bonheur des Coréens (du Sud).
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(Ce qu’on fait) au nom de Dieu.
Rien que les pages 236 à 241, pour la terrifiante et si dramatiquement humaine réaction de Kian aux outrages dont a été victime Raha sa promise dans un bazdachtgah, un centre de détention au cœur du Ministère de l’Intérieur, valent ce livre*. Mais rassurez-vous. Les 433 autres pages méritent aussi le détour.
Bienvenue donc, en Iran. Ses élections truquées de juin 2009. Sa jeunesse en colère, place Azadi. Ses insultes faites aux femmes. Ses tchadori – la police du code vestimentaire. Et au milieu de ce chaos, Raha, jeune étudiante en architecture, idéaliste : « Il n’y a pas de Dieu, Hossein. Je ne crois pas en Dieu. Si jamais j’y ai cru, j’ai arrêté quand j’ai atteint un âge où je pouvais voir ce que ce régime faisait en son nom » ; Raha qui va demander justice pour la profanation qu’elle a subi, dans un pays où les femmes n’existent pas, ou si peu. Un texte ample, courageux, beau ; et qui restera désespéré tant qu’on ne pourra pas se relever à l’endroit même où on est tombé.
*Azadi, Saïdeh Pakravan, éditions Belfond. En librairie depuis janvier 2015.
Un régal.
Il y a quelques mois, nous nous sommes retrouvés avec Édouard au San Francisco, rue de Mirabeau, dans le 16ème. (Au passage : accueil épatant, pâtes divines, vin italien diabolique). Nous parlions de nos livres quand soudain, il m’annonça la sortie en mars 2015 de son troisième roman. Je lui demandai alors s’il pouvait m’en tracer l’histoire, dans les grandes lignes. Ce qu’il fit en une seule ligne, et avec gourmandise :
— Dans la salle d’attente d’une clinique zurichoise où ils viennent pour s’euthanasier, un homme et une femme tombent amoureux l’un de l’autre.
Si je n’avais pas déjà été assis, je serais tombé sur le cul. Un pitch parfait.
*Nous parlions d’amour de peur nous de parler d’autre chose**, Édouard Moradpour. Éditions Michalon. En librairie depuis le 5 mars 2015.
** Magnifique titre, extrait d’Adolphe de Benjamin Constant.
Le niqab est-il soluble dans la République ?
À l’école, Lydia Guirous devait faire le bonheur de ses profs. Ses exposés devaient être clairs, se rédactions évidentes et ses dissertations limpides. Il n’est donc pas étonnant que son premier livre* (sur un sujet casse gueule) soit efficace, précis et surtout instructif. Fille de l’immigration, adolescente roubaisienne, elle nous démontre son amour de la République, milite pour la laïcité, et démonte, brique après brique, les raisons de la montée de l’islamisme –qui prend son origine dans la couardise électoraliste de nos chers politiciens de tous bords et ce, depuis plus de trente ans. À ce titre, Allah est grand, la République aussi est un livre nécessaire. Et puisque Guirous évoque la trajectoire vers l’islamisme de deux jeunes filles, Linda et Carole, je ne peux m’empêcher de vous renvoyer au livre magistral de Marc Trévidic, Terroristes**, qui raconte comment nos enfants passent soudain à l’acte. Avec une détermination qui fait froid dans le dos.
*Allah est grand, la république aussi, Lydia Guirous, éditions Lattès.
**Terroristes, les 7 piliers de la déraison, Marc Trévidic, éditions Lattès.
Plein les yeux. Et plein le nez.
Voici un texte incroyable*. Hallucinant, même.
L’histoire d’un enfant de 6 ans qui voit son père buter (vrai flingue, vraie tête qui explose, vrai sang) un automobiliste qui le bloque sur un pont ; ce même père qui lui enseigne (preuve à l’appui) que « le mal est plus fort que le bien », et qui finit par devenir pire que lui.
L’histoire d’un gamin qui se retrouve au Vietnam – les pages qui concernent cette période sont plus monstrueuses que tout ce que le cinéma nous a montré à ce sujet, de Deer Hunter à Apocalypse Now. L’histoire d’un homme qui deviendra un cador de la mafia puis un cocaïne cowboy pour le compte de Don Ochoa et d’Escobar. Qui connaîtra autant de putes que de millions de dollars. Fréquentera, entre autres, l’acteur James Caan dont on dit qu’il n’aurait plus du avoir de nez avec tout ce qu’il s’y enfilait (page 584), Manuel Noriega, dictateur vérolé, dont les doigts (et autre chose sans doute) aimaient à fouiller les petites filles de 10 ans (page 644), et cent autres curiosités humaines encore. Bref, tout cela serait de la rigolade si tout cela n’était pas absolument vrai. Ce qui rend ce témoignage indispensable.
*American Desperado, Jon Roberts et Evan Wright. Editions Le Livre de poche. En librairie.
Ah, les premières fois.
De même que Macha Makeieff avec son Nouveau Bréviaire pour une fin de siècle – Méditation affectueuse sur des objets ordinaires* nous racontait, au travers des gourdes en plastique, des ramasse-monnaie, et autres pichets de vin en terre cuite façon faux bois et coulures de pinard, nos souvenirs perdus, Nicolas Delesalle** nous offre un émouvant catalogue des émotions qui font les enfances inoubliables : la Renault 25 GTS (et non pas la GTX, hélas), la découverte que ça sort par là où on fait pipi, Michel Drucker et Mickael Jackson, les baisers ratés, les routes de vacances, les pornos cryptés de Canal+, les chiens qui meurent et qui donnent envie de vivre, les profs qui comptent, la découverte du Siddartha d’Hermann Hess, les premières ruptures qu’on foire toujours et vingt autres encore. Voici un parfum de très bon premier livre à la belle écriture, fraîche comme une herbe honnête qu’on vient de couper.
*Éditons du Chêne, 1998.
** Un Parfum d’herbe coupée, Nicolas Delesalle. Éditions Préludes. En librairie.
Marc & Levy.
On pourra dire ce qu’on veut de lui, il l’aura dit avant nous.
Page 163, par exemple.
Elle*, Mia (l’héroïne) se rend dans une librairie pour acheter les romans de Paul Barton (le héros), double badin de lui. Dialogue :
– Tenez, le voilà, c’est le seul titre que j’ai de lui.
– Vous pourriez commander les autres ?
– Oui, bien sûr. Mais j’ai aussi d’autres écrivains à vous proposer si vous aimez lire.
– Pourquoi ? Cet auteur n’est pas pour les gens qui aiment lire ?
– Si, mais disons qu’il y a plus littéraire.
– Vous avez déjà lu un de ses romans ?
– Hélas, je ne peux pas tout lire, dit le libraire.
Dans Elle & Lui, Marc se moque de Levy et fait s’y croiser, de façon cocasse, ses textes légers avec un drôle de Médicis étranger. Levy n’est pas dupe de Marc, et assume joyeusement sont statut d’écrivain libre qui a bien compris que pour faire plaisir à ses lecteurs, il fallait d’abord se faire plaisir à soi.
*Elle & Lui, Marc Levy. Editions Robert Laffont/Versilio. En librairie depuis le 5 février 2015.
PS. Ultime et épatante autodérision, ce commentaire de Paul Barton à propos d’Elle & Lui, en quatrième de couverture : « Magique. Jubilatoire. Un vrai bonheur ».
Entrée dans la vie.
Sortie de boite* est un roman très court. 67 pages. 60 exactement, si l’on décompte les pages de garde. Mais lorsqu’on l’a lu, on s’aperçoit que c’est une véritable prouesse d’être parvenu à mettre autant de choses dans ce très court roman, autant d’émotions, autant de colères, de tentations, d’ivresses et d’apaisements (ou de frustrations ?) à la fin ; autant dire que Jean-Christophe Millois (au demeurant admirable libraire**) ne donne pas dans le gras, les adverbes ronflants ou les descriptions verbeuses. Il raconte à l’os la fin de l’adolescence dans toute sa violence, celle qui consiste à faire le deuil d’une part de soi pour entrer dans la vie des hommes. Ça se lit vite, mais ça dure longtemps.
*Sortie de boite, Jean-Christophe Millois, éditions Lattès, collection « Plein Feu ». En librairie le 11 février 2015.
**Librairie de Paris, Place de Clichy, 75017 Paris.