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New York est un livre. (Dernier chapitre).

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New York est bavarde.
Elle s’écrit dans la rue, sur les terrains de baskets enclavées et grillagés, dans les musées, dans les perspectives, dans les couloirs de métro (où on fait de l’art en arrachant les affiches), dans les boutiques,  dans la comfort food, dans le métro (où la clim endort la violence), dans la passion que la ville porte à son équipe de baseball, derrière chaque fenêtre enfin, et elles sont des millions.
Je referme à regret ce livre ; ces histoires qui écrivent toutes nos histoires.

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Un immense merci à Dana Philp pour ses photos.

New York est un livre. (Premier chapitre).

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A New York depuis quelques jours. Cette ville aux Huit millions de façons de mourir. Ce tourbillon où l’on est Chez les heureux du monde.Harry rencontre Sally. Où les langues se bousculent. Où les couleurs de peaux dessinent le plus beau des drapeaux. Où le No smoking politiquement correct l’a emporté sur le Smoke d’Auster. Cette ville où le Memorial des Twin Towers est l’une des choses, ici, qui m’a fait pleurer. Cette ville où Basquiat est devenu un génie dans la rue. Où Lennon a été assassiné. Où Sargent, où Capote, où Easton Ellis, où McInerney, où Scott Fitzgerald, où Selby Jr (et son immense nouvelle Tralala). New York ne me laisse pas le temps de lire. Elle est elle-même un livre. Un livre d’images dans lequel je passe. Dans lequel on ne fait tous que passer. Il s’agit d’histoires de buildings. De modes qui s’écrivent à chaque pas. New York est un livre de poésie et de rébellion (l’un ne va pas sans l’autre). Un livre qui raconte la chance, et le vertige, que nous avons d’être vivants. Alors, je vis.

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Un amour fou.

Gary. La promesse de l'aube.

Dans le petit Embraer ERJ-135 qui relie Martha’s Vineyard à New York en gigotant, et m’arrache au calme, au contemplatif de l’île, pour me plonger dans l’énergie sans fin, dans les vertigineuses verticales, je lis ce livre* d’amour immense et fou.
Celui d’une mère, forcément.
Et de la naissance d’un fils.
« Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele D’Annunzio, Ambassadeur de France – tous ces voyous ne savent pas qui tu es ! » prédit la mère à son fils. En fait, bien plus que son fils, il est son œuvre, son destin. Elle en fera un homme fier, chic, français, qui ne lèvera pas le petit doigt en buvant son thé (c’est une faute), qui s’habillera à Londres, et qui devra être prêt à rentrer sur un brancard s’il le faut parce qu’un gugusse aura manqué de respect à sa mère ; un homme qui changera le monde, qui gagnera la guerre, accouchera d’une œuvre littéraire, et fera carrière dans la Carrière, un homme qui l’aimera toujours – elle. Ce fils sera ce feu qui la fera vivre, qui la maintiendra debout, mais finira tout de même par la consumer.
La Promesse de l’aube est une histoire vraie d’amour fou, une histoire de lien secret, indestructible, entre deux êtres du même sang. L’histoire d’une mère qui protège son enfant, au-delà des mers, au-delà du mal, et même dans l’Au-delà.
Avant de mourir, elle écrira deux cent cinquante lettres à son fils, dont elle chargera une amie de les lui expédier sur le front pour qu’il ne sache pas qu’elle est morte. Ce sont ces lettres, entre autres, qui feront de Roman Kacew Romain Gary.
Un fils immense.
Nous partageons, lui et moi le même chagrin. Celui de ne pas avoir eu le temps d’apprendre à nos mères que nous avions réussi un livre.

*La Promesse de l’aube, Romain Gary. Éditions Folio.

Bonjour là-bas.

Bonjour là-bas

D’ici, dans ce pays où les stèles et autres monuments aux morts sont légion, c’était l’occasion de découvrir (enfin) le roman* de Pierre Lemaitre où chacun sait désormais qu’il y est question d’arnaque aux cadavres de poilus et d’escroquerie aux monuments en mémoire de ces mêmes pelucheux ; question aussi, et surtout, d’amour filial. Prix Goncourt incontesté en 2014, énorme best-seller, sans doute un film épatant un de ces quatre (ne perds pas ton temps ici Jeunet, reviens en France), Au revoir là-haut est enfant de Marcel Aymé, Maurice Leblanc et Gaston Leroux. Une histoire d’après-guerre, un immense feuilleton rocambolesque, une galerie d’humanités magnifiques, une créativité jubilatoire. Un très aimable divertissement dans l’écriture duquel Lemaître semble si joyeux, si agréablement sûr de lui, qu’il s’autorise des pochades du genre, page 26% : « (…) qui la trouvaient banale vue de face mais très jolie vue de dot ». Jouissif.

*Au revoir là-haut, Pierre Lemaitre. Éditions Albin Michel et Le Livre de Poche (et un petit peu aussi, en Kindle). Goncourt 2014.

Les mères ne meurent pas. Elles changent d’allure.

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Du pays où l’espagnol, dit-on, sera un jour davantage parlé que l’anglais, il était temps que je lise un roman…espagnol.
L’été est là. Bien là. Vent chaud, doux. 78°F. Ici, à Menemsha (Massachussets), comme à Cadaquès, des bateaux partent, emportent des familles, écrivent des souvenirs salés ; le soir les enfants rentrent épuisés, s’effondrent dans les hamacs ; la nuit, certaines mères sortent, flânent, partagent leur corps.
Dans son roman* qui fit l’événement à la Foire de Francfort l’an passé, Milena Busquets raconte l’été d’un deuil.
Sa mère vient de mourir, alors Blanca quitte Barcelone pour Cadaquès où elle invite cet été-là, tous ceux qu’elle aime, et qui sont encore vivants –enfants, ex-maris, amants. Elle fume des clopes, des joints, elle boit, elle fait l’amour dehors, dedans, debout ; à la mort, elle préfère l’élégance de la vie, la danse de la vie. Elle raconte cet été qui doit la libérer d’elle, laisser cette mère si importante partir. Mais ses bras ne s’ouvrent pas. Contrairement au titre du livre, qui provient d’un conte, tout ne passe pas. L’amour, celui-ci en tout cas, ne passera jamais. Alors, au gré de ces journées catalanes brûlantes, entre les rires et les souvenirs, dans les ruelles chaudes, les plages tièdes, les fêtes interminables, Blanca lui parle. Blanca se souvient. Et, sans le savoir, Blanca écrit la plus belle lettre d’amour qu’on puisse imaginer à sa mère. Qui, finalement, est toujours là. Autrement.

*Ça aussi, ça passera, Milena Busquets. Éditions Gallimard, collection « Du monde entier ». En librairie depuis le 4 mai 2015 et en… Kindle.

Mr Mercedes.

King pour blog

Au moment où, dans ce pays, à Charleston, un gamin tue neuf personnes dans une église, en blesse je ne sais pas combien, l’éternel débat sur les armes fait rage. « Ce ne sont pas les armes qui tuent, disent les « pro-gun », ce sont les balles ». Et les « anti-guns » n’ont que leurs larmes de mercure. Et voilà que, comble du hasard, je suis en train de lire Mr Mercedes* d’un Stephen King bien loin de ses textes horrifiques, de son auto maléfique, de sa grosse lectrice de romance schizophrène et de ses graves addictions pendant les eighties ; un texte où l’arme du crime est une puissante Mercedes. Huit morts. Et je ne sais pas combien de blessés. Un King royal, ample, qui s’amuse du genre qu’il traite, qui se délecte visiblement d’écrire, d’égratigner au passage quelques séries télé récentes, quelques clichés, mais surtout un King en très grande forme qui, sous couvert d’une intrigue somme toute assez classique, éprouvée même, en profite pour dénoncer le plus vieux démon de l’Amérique, le plus terrifiant aussi, le plus inacceptable, le plus incompréhensible : celui qui rappelle que l’ennemi le plus dangereux est à l’intérieur ; qu’il a la tête d’un bon gars, type caucasien, en t-shirt Gap ou Old Navy, des Nike aux pieds, des écouteurs Apple dans les oreilles, un sourire d’ange (ou pas d’ailleurs) et qui soudain tue des américains ; tue le rêve américain.
C’est là, entre les lignes, que King est le plus fort, le plus visionnaire lui, qui, 20 ans avant Fifty Shades of Grey avait écrit un formidable bouquin qui commençait ainsi : un couple de new-yorkais, épuisé, décide de passer un week-end dans leur maison très isolée du Maine (je crois). Monsieur a amené ses menottes, il aime ça. Il attache madame au lit. Enfin, ils vont pouvoir baiser. Se détendre. Mais cette fois, ça ne la fait pas rire. Elle se débat. Monsieur meurt en tirant son coup. Le corps mort, lourd, écrase madame qui hurle. Qui hurle. Mais, personne ne l’entend. Absolument personne. Le livre s’appelait Jessie**. Décidément, King n’a pas volé son nom.

*Mr. Mercedes, Stephen King. Éditions Albin Michel depuis le 28 janvier 2015 et en… Kindle. Prix Allan Edgar Poe, aux Etats-Unis.
**Jessie (Gerald’s game), éditions Albin Michel, 1993 et Livre de Poche, 2001.
A lire ou relire, la belle chronique de Franck Boussard sur ce livre.

Tu me manques.

Tu me manques

C’est le titre du livre du jour.
C’est drôle, d’ici, il m’évoque ce Ne m’appelez plus jamais France, de Polnareff. Dans ce virevoltant roman* d’Harlan Coben, il y a le même genre de litote : I ain’t missing you at all, au lieu d’ I missing you. Bref.
J’avais un peu décroché de Coben depuis quelques livres, parce ses fins étaient devenues grotesques, mais le voilà qui revient à la grâce de ses débuts. Voici donc une histoire américaine, new-yorkaise précisément (oui, de ce NY tachycardique que j’évoquais ci-dessous) ; une histoire d’esseulés, de rêveurs, de romantiques et autres faibles, beaux, touchants ; de sites de rencontres et de quelques violentes désillusions concomitantes. Voici un thriller brillant, impeccable, imparable ; avec tout ce qu’il faut d’humour, d’émotion, de sanguinolences. Une grande histoire comme les contaient alors les princes de la littérature policière américaine (James Hadley Chase, Donald Westlake, Marc Behm, Lawrence Block – entre autres), avec adrénaline et dose de morale qui, même si elle rime avec deux balles, fait toujours du bien quand elle vous arrive dans la gueule. Prenez soin de ceux que vous aimez, écrit Coben page 97%, tout le reste n’est que bruit de fond. Coben m’avait manqué. Il est revenu.

*Tu me manques, Harlan Coben. Editions Belfond. En librairie depuis le 5 mars 2015 et sur… Kindle.

Le danger des lignes droites.

Lignes de fuite

L’été (celui qui rime avec vacances) semble commencer ici. Davantage de gens, de toute la côte Est, qui viennent goûter à l’immobilisme rassurant de l’île. C’est celui d’une Amérique ancienne, calme et tellement aimable, loin de l’énergie tachycardique de New York, par exemple.
Vu Dike Bridge (ci-dessous), hier, sur l’île de Chappaquiddick ; ce pont d’où l’Oldsmobile de Ted Kennedy plongea dans l’eau en juillet 1969. Le sénateur réussit à s’extirper de l’auto, laissant, dit-on,
Mary Jo Kopechne se noyer.
Sinistre histoire qui ne nous dévoilera jamais assez l’étendue du mal possible chez l’homme (ou la femme) et dont Val McDermind nous apporte encore une fois la preuve cinglante avec son Lignes de Fuite*. Une histoire qui commence par un enlèvement d’enfant, sous les yeux de sa mère ; un début kafkaïen à souhait. S’ensuivent 430 pages (98% en Kindle) de surprises, bonds et rebonds, de fausses pistes, d’émotions, de trahisons. Une plongée amusante aussi, dans le monde d’une starlette de la téléréalité.
Mais au fond, l’enlèvement du début n’est qu’une métaphore de tout ce qu’on doit finir par enlever de soi, faire disparaître faux-espoirs, faux-amis, faux-culs – et Dieu sait que c’est si difficile -, pour trouver la paix. La paix ou, en tout cas, cette toute petite chose qui permet enfin d’apprécier sa vie.

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*Lignes de fuite, Val McDermind. Éditions Flammarion. En librairie depuis le 18 mars 2015, et en… Kindle.