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Partir.

Partir

84 degrés Farenheit aujourd’hui sur la côte Est. Un orage qui menace. L’humidité. Le bruit des ventilateurs. La climatisation. Et la boisson nationale, qui rafraîchit tout le monde dans le General Store d’Ally, le premier ouvert sur cette île, en 1858.
Et c’est dans un été anglais de même chaleur qu’Emily décide de partir. De tout quitter. De changer de nom. De vie. D’histoire. De passé. Elle disparaît sans explication.  Sans carte bleue. Sans téléphone. Sans rien.
J’adore ce thème de la disparition depuis la lecture de La Fuite de monsieur Monde, de l’immense Simenon, et du superbe deuxième roman de Douglas Kennedy : L’Homme qui voulait vivre sa vie.
Partir* rejoint ce mythe d’un ailleurs meilleur, cette sublime illusion de « The grass is greener », cette chance qui nous est donnée de pouvoir tout recommencer. De renaître à nous même. Mais les démons savent être patients. Un  joli « page turner » d’été, qui commence dans le noir du chagrin, et s’achève dans le rose de l’apaisement.

* Partir, Tina Seskis. Editions du Cherche-Midi et en… Kindle.

En train.

La fille du train

Toujours sur ces routes magnifiques, bordées de vert, silencieuses ; où l’on croise un énorme 4X4 toutes les heures, une Camry toutes les deux heures, une joggeuse en fluo comme dans tous les films de série B tous les dix miles et, de temps en temps, un General Store où l’on trouve tout. Des « Kayak Barbie », des « butter biscuits » ou des petits trains en fer. Bref. Voici une petite virtuosité hitchcockienne, période Fenêtre sur cour (1954). Voici Rachel, tous les jours dans le 8 h 04, qui mène d’Ashbury à la gare d’Eton. Tous les jours, par la fenêtre du train, elle voit ce joli couple, et tous les jours, elle invente leur vie, un peu par désœuvrement (la sienne est déglinguée, moche, titubante à cause du chagrin et de l’alcool), et un peu par enchantement (et si sa vie reprenait vie ?). Et puis un jour, la jolie femme du joli couple disparaît. Et ce que Rachel a vu, ou cru voir, nous entraîne dans un roman à trois voix (trois voies, aussi), nous offre trois magnifiques portraits de femmes, si tragiquement humaines, qui, sous couvert d’un thriller absolument addictif, nous dépeignent chacune à leur manière, et toutes avec effroi, l’immense et cruelle banalité du désir, et la lâcheté irréversible de quelques hommes.

*La Fille du train, Paula Hawkins. Editions Sonatine et… Kindle.

Sur la route.

Sur la route

En Amérique pour de nombreuses semaines, et, pour la première fois, un Kindle dans une valise plutôt qu’une valise pleine de livres. Un Kindle deuxième génération (on en est à la quatrième), écran mat, sans rétro-éclairage, bouton sur lequel il faut appuyer fortement pour changer de page. Le poids, le papier, l’odeur, la blancheur des pages, l’objet même du livre me manquent, bien sûr, mais les mots sont là, c’est l’essentiel, et avec eux, les émotions, les frissons, les colères, les rires ; un vrai livre, quoi, malgré tout.
J’ai commencé avec un premier roman* américain, Sur ma peau, de Gillian Flynn (célèbre désormais grâce à la remarquable adaptation au cinéma de son Gone Girl, par David Fincher, avec Rosamund Pike et Ben Affleck). Une authentique histoire américaine. Un village où il ne se passe rien. Où l’ennui défigure les futurs, l’alcool les visages, et où la méchanceté devient une occupation. Une journaliste y enquête sur deux crimes, deux petites filles étranglées, auxquelles on a arraché toutes les dents. Elle a vécu là. Les souvenirs remontent, la bile aussi.
Au-delà de l’histoire elle-même, palpitante, Gillian Flynn dévoile déjà tout son immense talent à portraiturer les femmes ; descendre en elles comme dans des abysses – ces abîmes qui ne sont autres que ceux de nos frayeurs primitives, cette peur considérable de n’être pas aimé.

*Sur ma peau, Gillian Flynn, éditions Le Livre de Poche et… Kindle.

Cours, cours (2/2).

Thomasson

Après Jeanyf (voir ci-dessous), voici Philippe. Lui aussi, il court. Mais il ne court pas après, il court au-devant. Il court vers la vie, avec son cœur greffé, tout neuf. Avec ses jambes qui doutent. Son mental qui s’accroche. Bernard Thomasson nous raconte sa passion du marathon (42,195 km)*, à travers celui de Paris. Il en profite au passage pour nous faire découvrir, en 42 chapitres, ce Paris qu’on finit par ne plus voir. Et invite un certain Bénédict Maverick, coureur de 42 marathons à travers le monde, à nous parler de chacun d’eux, de chacun de ses émerveillements, de chacune de ses douleurs (il finira en chaise roulante). Existe-t-il, ce Maverick ? Qu’importe. Le réel n’est qu’une question d’imaginaire, dit Bernard. Sa plume gracile et légère comme des Asics, nous fait courir plus vite, plus loin.
Un très beau récit sur le dépassement de soi. Sur ce marathon qu’au fond on devrait faire en nous-mêmes. Sur ces retrouvailles avec soi, si importantes, mais qu’on tarde malheureusement toujours à faire, en pensant qu’on aura bien le temps.

*42km 195, Bernard Thomasson. Editions Flammarion. En librairie.

Cours, cours (1/2).

Le Guilder

Voici un roman* étonnant. Déroutant. Amusant. Enchantant. Riant. Déconnant. Insolent.
L’histoire du petit Jeanyf, quatorze ans, qui court après l’absence de sa mère, Yvette, dont le mari, donc son papa, Pierryf, peint le visage sur tout –comme quand les Anglais font des assiettes, des mugs, des t-shirt, des casquettes, des abats jours, etc, avec la tête d’Elizabeth– ou le sculpte dans du buis. Jeanyf qui court comme un lièvre dans la forêt. Comme un fou derrière un ballon. Qui court pour ne pas tomber. Qui court après la belle Bessie, quatorze ans aussi, qui confond aimer et faire mal. Qui court de surprises en surprises depuis que les nouveaux voisins ont fait, dans ce trou du cul du monde, un drôle de Club (les concombres d’ailleurs, et les pieds de chaises, et les battes de baseball et autres grosses carottes sont en rupture de stock dans le village).
L’histoire d’un petit (1,40m) gamin, qui se demande s’il n’est pas ric-rac pour la vie, mais dont le cœur immense apporte la plus surprenante des réponses.

*Ric-Rac, Arnaud Le Guilcher, éditions Robert Laffont. En librairie.

Pauvre Richie.

Richie

Voici un livre* infiniment triste.
Et ce n’est pas à cause de la plume glaciale de Raphaëlle Bacqué, une lame de 10, un scalpel qui incise cette histoire, jusqu’aux entrailles de la chambre froide, qu’il est infiniment triste non, mais à cause de Richie lui-même.
Richie, c’est Richard Descoings, charismatique, manipulateur, colérique, audacieux, idéaliste et pervers (entre autres) directeur de Science Po. Richie, comme un nom de rock star, adulé par ses élèves, courtisé par le Pouvoir (sacré Sarkozy), gangréné par tous ses désirs, toutes ses névroses, toutes ces choses qui mettent en place la plus convenue des tragédies.
Richie, c’est l’histoire (vraie) d’un couple à trois : celui qu’il forma avec Guillaume Pépy, patron de la SNCF, et Nadia Marik – que j’ai rencontré dans la pub, à l’époque où elle était bien loin de celle qu’on allait appeler la « tsarine » ou « Elena », comme dans Nicolae et Elena Ceausescu, ainsi que l’écrit Bacqué.
Richie, c’est une histoire d’appétit homosexuel sans fin, une histoire hétérosexuelle d’amour (vrai) ; une histoire de pouvoir, de détournement d’argent, de mains dans la caisse et de mains aux culs. Une histoire de petits Borgia, en somme, rue Saint-Guillaume. Une histoire banale et sordide. Un petit fait divers pavillonnaire. Mais voilà. Les noms sont connus. Il y a eu un mort. A New York. Dans une chambre d’hôtel. Il y a eu des escorts boys. Beaucoup l’alcool. Un cœur qui lâche. Ça a un parfum de Sofitel. De DSK. Alors le fait divers devient un livre. Et tous les deux sont d’une infinie tristesse.

*Richie, Raphaëlle Bacqué, éditions Grasset. En librairie.

Cadeau Bonux.

Lafitte

Je connais assez bien Philippe Lafitte pour avoir eu le plaisir de travailler avec lui dans la réclame où il officiait en tant que (très bon) directeur artistique -c’est à dire qui s’occupait des images. Et voilà douze ans déjà, que les images, il les a dessinées avec des lettres, qui ont formé des mots, qui ont tracé des phrases, qui ont donné naissance à Mille Amertumes*, son premier (très bon) roman.
Quatre livres plus tard, le revoici avec un nouveau texte** trépidant à souhait, à la croisée de deux mondes -Belleville et Shanghai ; une histoire d’amour sur fond de voyous, de chocs de culture, de bastons, de mensonges, de peaux douces comme des promesses, et de cicatrices jamais vraiment refermées, creusées à l’époque sombre d’Hô-Chi-Minh, et mille fois ravinées depuis. Un roman vif comme L’Homme de Rio (Philippe de Broca, 1964), sombre comme Roméo et Juliette (William Shakespeare, 1597) ; et tiens, puisqu’on parle de cinéma et de scène, Philippe, en ex (très bon) publicitaire qu’il est, a mis dans son roman un cadeau Bonux : de quoi faire un film jubilatoire et/ou une formidable série télé. C’est ce qu’on lui souhaite au plus vite.

*Mille Amertumes, éditions Buchet/Chastel, 2003. Ont suivi : Un monde parfait, Etranger au Paradis et Vies d’Andy (Le Serpent à plumes).
**Belleville Shanghai Express, Philippe Lafitte, éditions Grasset. En librairie depuis le 4 mai 2015.

Invitée #20. Mireille Calmel.

Nice 2013. Sur le cours Saleya. Le salon du livre. A côté de moi, un auteur que je ne connais pas. Soudain, une petite fan de treize ans l’aborde. Timide. Et tellement heureuse. Puis une autre, une fan de quarante-cinq ans cette fois. Une autre encore. Vingt-trois ans environ. Puis deux sœurs. Qui la photographient en rougissant. Puis dix, puis trente. Nos regards se croisent. Je viens de rencontrer Mireille Calmel. Nous deviendrons amis.
Depuis, j’ai lu ses livres* afin de comprendre pourquoi ce rapport si fort avec ses lecteurs. Et j’ai compris, avec le temps, que ce n’est pas tant parce que chacun de ses livres est absolument formidable, mais parce que Mireille est absolument formidable. Formidable ici est synonyme de rare. De vraie. De juste. De sincère. Et de belle.
Je lui ai demandé de nous présenter l’un de ses coups de cœur. Le voici.

Lelait-Helo

La couleur des mots.
Lequel d’entre nous, écrivain, ne l’a crayonnée, fort de cet indicible certitude d’en maîtriser l’essence ? Avant, la fougue retombée, de relire une belle phrase pétrie de lumière, de style, de talent, mais somme toute, pas meilleure que la précédente. On crée des formules, on tricote ou détricote le passé, le présent, le futur, selon nos rythmes, nos envies, nos forces ou nos faiblesses. Nous sommes ce que nous écrivons. Nous sommes une idée, un geste, un espoir, parfois un monde. Nous sommes des soupirs, des silences, des cris, des rires. Nous sommes des larmes qui, de joie ou de tristesse, coulent pour raviver cette couleur-là. Nous sommes des passants à qui nos maisons survivent. Mais combien sommes-nous à avoir regardé la teinte des pierres ? Vous savez bien, celle qui s’irise, là où les jardins clos interdisent le regard, emprisonnent cette part de nous même qui devient la couleur des sentiments.
Pff ! me direz-vous. Les pierres ont la couleur du temps qui passe ! Les murs supportent peinture, tapisserie, stuc, selon mode et goût de leurs occupants. Appartement, maisons ? Simples abris pour nos existences en mouvements, pour nos grigris d’adultes enfants. On les habite. Parfois oui, on les aime ! Comme on les quitte avec nostalgie ou soulagement. Pas de quoi en faire un livre ! D’autant que tout le monde l’a admis : les pierres sont silence.
Eh bien non !
David Lelait-Helo l’affirme et je le crois**.
Les pierres parlent. Les murs suintent ce que nous leur confions. Ils sont les bras solides qui enferment nos rêves, nos désillusions, chaque kaléidoscope de notre minuscule existence. Ils sont l’Histoire dans l’histoire de nos vies. Ils sont nous, cette impression en noir et blanc d’une respiration en couleur.
David Lelait-Helo l’affirme. Mieux, il le prouve.
Je pourrais vous parler de la magie de son livre, né d’ « Entre les pierres ». Je pourrais évoquer la délicieuse inclinaison de sa poésie, disserter des heures sur ce tableau de maître qu’il a su peindre entre matière et transparence, entre murs et vitres, entre la légèreté d’un pas qui danse et la chute d’un corps qui s’oublie. Je pourrais vous raconter l’Argentine que cette maison de Buenos Aires a vue naître, grandir, souffrir, aimer. Je pourrais vous parler de son occupante, Soledad Salvador, de son carnet bleu sans ligne, portion de ciel nichée sous la bretelle de son soutien gorge et dans lequel elle trace ses nuages, ses terribles nuages.
Mais…
Cette maison m’a rendu à l’humilité du vent qui s’enroule autour d’elle, ce vent qui l’admire dans sa splendeur, pleure sa décadence et se souvient que la seule couleur qui flamboie, lorsque vient le couchant, est celle du sang.
Grâce à elle, mon cœur s’est enjolivé d’un battement plus intense. Il m’en reste un bijou en sautoir, un rubis, que je porterai longtemps.
Alors face à cette palette si riche, si subtile, si humainement éblouissante, je n’aurai qu’un seul mot pour colorer l’instant : Merci.

Extrait (choisi par Mireille) : « Vous avez des yeux, j’ai des fenêtres. Vous avez les paupières, j’ai des persiennes. Vous avez des rides, j’ai des fissures. Vous avez de l’âme, j’ai des miroirs. Vous avez des secrets enfouis, j’ai des caves. Vous avez les larmes, j’ai la pluie. Vous avez le sang, j’ai l’eau. Vous avez la fièvre, j’ai la flamme. Vous respirez, je m’aère. Vous naissez, je m’élève. Vous mourrez, je tombe. Vous êtes un cadavre, je suis une ruine. Vous avez des chagrins, j’ai les vôtres. »

*Tous les livres de Mireille sont publiés chez XO Éditions. Son site : http://mireillecalmel.com/
**D’entre les Pierres, David Lelait-Helo, éditions Anne Carrière, 2014. En librairie. A découvrir aussi, chez le même éditeur, avec un égal bonheur et parmi d’autres : Poussière d’homme (2006), Sur l’épaule de la nuit (2010) – sélection et coup de cœur du prix des romancières.