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Le cœur des mots.

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Avant d’être l’histoire de la vertigineuse chute d’un homme, Le Cœur du pélican* est un livre d’amour des mots. Céline Coulon a vingt-cinq ans, et voici déjà son quatrième roman, gourmand, généreux, ample ; une symphonie de mots qui aiment autant la musique qu’ils composent que ce qu’ils racontent. Une sorte d’opéra majestueux… en milieu pavillonnaire. Avec son héros qui fend l’air, fait tomber les chronomètres et embrasse les rêves immobiles des rois du barbecue du week-end dans les jardinets, réveille les illusions de tous ceux qui ne s’envoleront jamais. Jusqu’au jour où. Où une douleur dans la cuisse. Comme une flèche. Où le corps du héros s’effondre sur la piste. Où, en tombant, il écrase tout. L’estime de soi. L’amour. Et surtout, l’envie de se relever. Qu’il est long le chemin qui mène à l’ironie suprême, chantait Christophe Bevilacqua. Cette ironie ici, qui consiste à penser qu’il y a davantage de grâce dans la chute que dans l’élévation. Davantage de courage à courir après l’impossible que juste marcher devant soi. Un pas après l’autre. La seule façon, je crois, d’atteindre les étoiles.

*Le Cœur du pélican, de Cécile Coulon. Editions Viviane Hamy. En librairie.

Du langage des fleurs.

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Alors bien sûr, lorsque François Alquier (excellent journaliste doublé d’un vrai chouette type) l’a lu*, il a aussitôt établi un lien avec mes Quatre Saisons de l’été, à cause du langage des fleurs. Il m’en a donc fait une : il m’a offert ce premier roman, écrit à quatre mains par Franck Calderon et Hervé de Moras. La Prétendue innocence des fleurs (quel beau titre) est, comme un bouquet multicolore, multi savoureux, tout à la fois un chant d’amour pourpre, un thriller vénéneux, une intrigue judiciaire à épines, une histoire d’amitié rugueuse, un chemin de rédemption à l’odeur de glycines, un concerto enivrant, une course au trésor où le trésor serait la vérité, et un pardon douloureux qui porte le jaune d’une rose. L’ensemble -a priori hétéroclite- offre une composition d’une rare virtuosité, qui laisse dans son sillon le parfum d’un très, très bon bouquin.

*La Prétendue innocence des fleurs, de Calderon et de Moras, éditions Scrinéo. En librairie depuis le 7 mai 2015.

Je me suis tu(é)e.

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Souvenez-vous. L’Incroyable vérité. Le Faux-coupable. Voici venu le temps des assassins. Justice est faite. Ascenseur pour l’échafaud. Souvenez-vous des meilleurs Simenon. Souvenez-vous de ces films ; de ces textes d’un réalisme cru, sauvage, terrible, où la main ne tremble pas lorsqu’elle tire, poignarde ou étouffe, où les remords de l’assassin ne l’étouffent pas toujours, pas tout de suite en tout cas, mais où le temps, comme une marée que rien ne peut empêcher de polir, de faire cloquer les surfaces et d’y faire apparaître les choses, les hontes et autres encombrants secrets ; eh bien le premier roman* de Mathieu Menegaux rejoint, un demi siècle plus tard, ses prestigieux aînés : cette famille d’histoires qu’on écoute ou qu’on lit sans vraiment y croire, mais qui finissent par s’instiller en nous et ne plus jamais, jamais nous quitter.

*Je me suis tue, Mathieu Menegaux, éditions Grasset. En librairie. (Merci à Fanny, Marie-Laure et Aurélie de la Librairie Payot de Lausanne, pour m’avoir fait découvrir ce texte).

Au malheur des dames.

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Le désir, l’amour, la passion ont tous des synonymes de feu. De braises. De flammes. D’incandescences. De brûlures.
Gaëlle Nohant allume un feu magnifique*, des flammes qui montaient à cent mètres, qui, en ce mois de mai 1897, incendient le très couru Bazar de la Charité, rue Jean-Goujon à Paris ; un brasier qui consume la grâce, le velouté des peaux, les coiffures maniérées et les toilettes ravissantes des femmes aux titres long comme des douleurs ; qui lèche et dévore sans discernement les dames de cœur comme les petites gens, épargnant curieusement les hommes, en cette fin de siècle où les convenances assassinent plus efficacement que la lame d’un fleuret. La Part des Flammes est un bouillant bouillonnant roman-feuilleton aux accents whartonniens ; un livre sur l’immense malheur des femmes, sur la nostalgie de ce temps où la solitude n’était pas une ennemie, mais un territoire de liberté ; un livre qui donne envie de se consumer d’amour. Mais de son vivant.

*La Part des flammes, de Gaëlle Nohant. Editions Héloïse d’Ormesson. En librairie depuis le 15 mars 2015. Et depuis, Prix Page des Libraires/France Bleu 2015.

Après Le Touquet, le Venezuela.

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Je ne connais pas grand monde, à vrai dire personne, qui soit allé au Venezuela (latitude 10° 29’ 28’’ N, longitude 66° 54’ 6.98’’ W), appelé aussi République bolivarienne du Venezuela. Je ne suis même pas sûr d’être capable de le situer correctement sur une carte. Ni de savoir quelle langue on y parle ou le nom de sa capitale. Et voilà que j’en reviens. Que j’en reviens bouleversé, ému, transporté, comme au temps de mes vingt ans, lorsque je lisais Augustín Gómez-Arcos et Alejo Carpentier, et que je faisais des voyages inouïs – les livres, alors mieux que le LSD.
Voici un premier roman magnifique et flamboyant, écrit en français par un vénézuélien, qui nous transporte dans ce pays où « ils devinrent si miséreux que, du côté du péché, la morale penchait pour eux » (page 70). Un court roman flamboyant qui parle de la naissance des mots chez cet Octavio, et chez Miguel Bonnefoy d’ailleurs ; ces mots qui vont emmener Octavio au cœur du monde, au battement même du cœur du monde, dans sa nature et dans ce qu’elle a de viscéral, de puissant, d’incantatoire, et téléporter Miguel Bonnefoy au cœur de la littérature dans laquelle il fait une entrée d’une élégance et d’une humanité rares. Et puisqu’il est dit que ce mois de mai est celui de ponts, alors voilà un deuxième livre dans lequel plonger – après celui ci-dessous 🙂

Le Voyage d’Octavio, Miguel Bonnefoy, éditions Rivages. En librairie.

L’été commence le 29 avril.

Les Quatre saisons de l’été sortent aujourd’hui. Il y a des milliers de petites piscines bleues dans les librairies. Et, dans le livre, qui a Le Touquet pour décor, quatre couples qui s’aiment. Un de 15 ans, un de 35, un de 55 et un de 75. Bon voyage au pays de l’amour: l’été.

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Le livre sans âge.

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Voici un livre publié pour la première fois en 2015, probablement écrit en 2013 et/ou 2014, par un auteur né en 1976, dont l’action se situe en 1908, soit 3 ans après Chez les heureux du monde d’Edith Wharton, mais qui aurait très bien pu se passer en 1856, date de sortie de Madame Bovary, et finalement tout aussi bien en 2013, date du Mariage pour tous en France. Bref, un livre qui, comme ceux de Flaubert et Wharton, raconte une histoire hors du temps, donc de tout temps, écrite au présent (tiens, tiens) et qui met en scène, avec des mots simples, qui n’ont donc pas d’âge, les relations amoureuses de gens qui ne s’aiment pas, et surtout ce curieux amour que l’absence même d’amour va faire naître. C’est donc à la fois un livre très ancien et très contemporain que nous offre Léonor de Récondo (un nom là aussi hors d’âge, comme un agréable Cognac) ; cet Amours* au pluriel, qui conjugue le désir fou, au-delà des modes et des conventions, et notamment cette éternelle impossibilité de le maintenir vivant, éternellement.

*Amours, de Léonor de Récondo, éditions Sabine Wespieser. En librairie.

Une revenante.

Tiné_Blog_DelacourtSon nom me disait quelque chose. Je l’avais vu quelque part. Et plutôt cent fois qu’une. Et ça m’est revenu d’un coup. Ce nom signait les épatants éditoriaux de Marie Claire Maison, à l’époque où il était si élégant. Ses mots étaient alors chauds comme des intérieurs douillets, vifs comme des pièces modernes, tendres comme des cuisines. On s’y sentait bien, dans ses mots.
Et c’est ce qui arrive à nouveau aujourd’hui avec Le fil de Yo*. Un livre bourré de tendresse comme une armoire remplies de draps de coton, de serviettes éponges. Un roman, comme une maison de famille, pleine de fous aimables, de poètes dépressifs, de suicidés en sursis, de gueules cassés, de cœurs broyés, de fusions qui n’ont pas pris, de mots qui ne s’envolent plus, et de vieux légumes d’antan qu’on n’apprécie plus parce qu’on ne les connaît plus. Comme les gens, d’ailleurs. Un lieu où l’on entend (entre autres) cette terrible question qui témoigne de tout l’amour de Caroline Tiné pour ses personnages :
– Savez-vous ce que l’on ressent lorsqu’on mène une vie totalement inaperçue ?
Ce livre est le lieu de ces vies-là.
Celles qui déplacent à peine une feuille à leur passage.
Et Yo en est le fil qui les relie. Qui les retient. Crée les attaches. Le fil qu’elle jette aux autres, comme une bouée, qui la sauvera elle-même. Et c’est là l’une des très belles idées du roman : en sauvant les autres, on se sauve soi.

* Le fil de Yo, Caroline Tiné, éditions JC Lattès. En librairie depuis février.
Caroline a écrit deux autres romans, parus il y a vingt-cinq et vingt-deux ans, ce qui en fait une sorte de revenante : L’immeuble (Prix du Premier Roman) et Le Roman de Balthazar (Prix du Lion’s Club International), tous deux chez Albin Michel. Prions qu’elle ne nous fasse pas attendre autant pour le prochain