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Les variations Descott.

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Je me souviens de Gould. Ses doigts commençaient doucement, gracieusement, et puis ils s’animaient, s’accéléraient jusqu’à en être flous, et nous emporter ailleurs, dans des contrepoints inattendus, des vertiges abyssaux, et lorsqu’ils s’immobilisaient à nouveau, j’étais groggy. La partition de Régis tient de cette virtuosité. Voilà pour le style et le rythme de ces Variations fantômes*.
Pour l’histoire, nous voici aujourd’hui dans L’Étoile, le château de Philippe Wolf. Des bruits curieux s’y font entendre. Des boules de billard jouent toutes seules. Des lampes s’allument, s’éteignent, grésillent. Des frôlements se font sentir. Arrivent alors le docteur Morel et ses six élèves – comme six X Men – chargés de défantômiser l’endroit. Mais comme rien n’amuse plus Régis que de brouiller les pistes, ce début, qui pourrait ressembler à un excellent Club des Cinq (des Six, en l’occurrence) tourne vite à une ambiance élégamment flippante à la Agatha Christie, voire parfois à celle plus inquiétante de Shinning, dont la démesure ici ne serait pas la folie mais l’amour, et notamment cette privation d’amour ; cette impossibilité de s’aimer qui torture encore, bien, bien longtemps après, les âmes des amants maudits. Pour notre plus grand plaisir de lecteur frissonnant.

*Les Variations fantômes, Régis Descott. Éditions JC Lattès. En librairie depuis le 1er avril.

Le noir lui va si bien.

En voilà un drôle de type. Sa femme meurt lors d’une balade en forêt. Elle tombe sur elle-même, à la manière d’un accordéon, presqu’au ralenti. Elle repose sur les feuilles mortes de novembre. Des feuilles rousses. Et voilà le drôle de type qui noircit des feuilles blanches. Qui nous raconte Sylvie en quelques courts chapitres. Qui lui parle alors qu’elle n’entend plus. Qui regarde le monde avec ses lunettes à elle pour la première fois, pour voir ce qu’elle voyait. Qui regarde dans les chapeaux qu’elle a laissés si elle y a laissé des pensées pour lui. Qui finit le livre qu’elle n’a pas eu le temps de finir pour lui raconter la fin. Jean-Louis n’est jamais aussi tendre que lorsqu’il voudrait être méchant, et gentiment méchant avec les gens tendres avec lui. Il écrit sur ceux qui lui manquent. Qui sont partis sans lui. Sur son père. Ses fils. Sa fille. Bientôt sa mère. Avec, en tête et dans la plume, ce charmant petit conseil de Voltaire : Il est poli d’être gai.
Veuf est la grande histoire d’amour de deux personnes qui comptent pour moi. Qui me manquent ensemble et que j’aime séparés, désormais.

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Veuf, Jean-Louis Fournier. Editions Stock (2011) et Livre de Poche (2013). A lire ou relire d’urgence.
Au fait, c’est lui de dos, sur la photo. C’est elle à côté de lui.

 

 

L’homme qui aimait les femmes.

On pense à l’incomparable Charles Denner, bien sûr. À cette scène inoubliable lorsqu’arrive la baby sitter, qu’elle demande à voir l’enfant et que Denner balbutie : mais… l’enfant c’est moi. À cette réplique sur les jambes, comme des compas.
Il en est un autre qui les aime.
Un photographe à l’incroyable talent qui, pour chacune des femmes qu’il a shootées, a crée au moins une image iconique. C’est Peter Lindbergh. Elles, ce sont sont Naomi, Cindy, Linda, Christy. Et les autres. Dont les visages, les regards, les pudeurs, les inquiétudes et les ravissements valent les plus beaux mots. J’avais envie de partager ce livre d’images ; silencieux, pour une fois.

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L’Homme qui aimait les femmes, François Truffaut. En dvd Mk2.
10 Women by Peter Lindbergh, éditions Schirmer/Mosel. Dans certaines librairies.

Musso le Magicien.

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Guillaume Musso est un prestidigitateur : en commençant un de ses livres, on sait que ça va bien se terminer, que le tour sera réussi. Tout comme Harry Houdini, enchaîné dans son coffre immergé ne peut pas mourir noyé, même si on a peur pour lui, tout comme David Copperfield qui s’était fait disparaître ne peut pas totalement disparaître (on l’a d’ailleurs retrouvé dix ans après dans le village de Castelnau-de-Lévis, Tarn), les amoureux de Guillaume seront ensemble finalement. Fatalement. Et on se met à prier qu’une fois (re)trouvés, il ne leur arrivera plus rien de mal.
Si Guillaume, comme bon nombre d’écrivains, explore l’un des principaux sujets de la littérature, à savoir pourquoi deux personnes se choisissent (et que Montaigne résuma parfaitement avec son « Parce que c’était lui, parce que c’était moi »), son grand talent est de nous faire nous demander comment ils vont y parvenir.
Et c’est bien là le lieu de tous ses livres : être ensemble, quoiqu’il arrive.
Dans Demain, l’homme et la femme ne vivaient pas dans la même année. Dans Central Park, ils n’avaient pas la même mémoire des choses. Dans L’Instant présent, ils ne peuvent se croiser que 24 heures par an, pendant 24 ans. Et pourtant on le sait, ils vont se retrouver. Et pourtant, on vibre pour eux, on s’inquiète, on espère, on a froid parfois. On est à nouveau un enfant à qui on lit un conte et qui a peur et qui se laisse avoir d’autant plus qu’il sait que tout cela finira bien.
On referme alors le livre, soulagé ; un brin désappointé aussi : l’habile magicien n’a pas dévoilé son « truc ». C’est à nous d’y croire. À nous désormais, de rêver que toutes les rencontres sont possibles. Quoiqu’il arrive.
Et c’est là le don de Guillaume. On y croit.

L’Instant présent, Guillaume Musso, éditons XO. En librairie.

 

Les morts parlent.

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Il y a 10 jours, je vous présentais un livre* dont le point de départ était la photo d’une maman qui aurait du être enceinte de huit mois et qui ne l’était absolument pas.
Aujourd’hui, c’est une autre photo qui est à l’origine d’un livre. Le portrait amoureux de Fred et Élise. Pris dans les années 1940. Ils sont beaux – pour l’époque. Ils ont un brushing Elsève Balsam. Ils sont enlacés. Ils regardent l’avenir. Et c’est cet avenir que nous raconte Frank Andriat. Un avenir inventé à partir de la photo, dont le copyright nous apprend qu’elle provient de Super Stock/Getty Images. Inventer une vie, c’est l’essence même du roman ; et Frank, en bon et roué romancier qu’il est, nous invente avec une immense délicatesse des vies sombres, nous dessine dans une ambiance délicieusement simenonienne d’aujourd’hui des âmes douloureuses, des regards pervers, des chagrins étouffés ; à l’opposé de la béatitude idiote des deux promis de la photo.
Mais si, en vrai, ces deux-là avaient été réellement heureux ?

*Nemo Baby, l’enquête, Jean-Loup Le Forestier, Fauves éditions.
**Ces morts qui se tiennent par la taille, Frank Andriat, éditions du Rocher. En librairie.

Super Vacca.

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Nous sommes à la fin des années 60. Les mamans esseulées feuillètent des magazines dans leur intérieur bouffi de confort moderne. Les papas se recyclent dans la vente au porte à porte d’aspirateurs révolutionnaires qui aspirent leurs dernières illusions, leurs derniers sous. Et tous les petits garçons regardent les femmes faussement dénudées dans les magazines coquins (des papas), et gloussent, et s’étouffent à cause de leurs premières cigarettes. Tous ? Sauf un. Thomas Leclerc*. Un petit homme – petit Tom – dont on ne sait pas ce qu’il est : surdoué, autiste ou autre chose, mais qui, en tout cas, souffre de ce qu’il est : trop brillant à l’école, trop seul, trop de questions. Et c’est justement dans la poésie inventée de sa double vie (Thomas Leclerc/Tom L’Éclair) que va s’écrire son entrée dans le monde réel, sa mansuétude du malheur des grands et du chagrin des petits, et surtout sa compréhension de la normalité dans une société qui ne supporte rien d’autre, rien de différent. Sous couvert d’une fable jouissive et bon enfant, Paul se révèle un redoutable moraliste. Un super conteur.

*Comment Thomas Leclerc, 10 ans, 3 mois et 4 jours est devenu Tom L’Éclair et a sauvé le monde… de Paul Vacca. Éditions Belfond. En librairie dès demain,  jeudi 2 avril 2015. Et pour prolonger le plaisir de la lecture de ce livre, à revoir l’imparable Toto le Héros de Jaco Van Dormael, dvd chez MK2.

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10.

Montréal. 1976. Nadia Comaneci. 14 ans. Roumaine. Gymnaste. L’ordinateur s’affole. Ne peut inscrire les 10 que donnent les juges. C’est un 1 puis une virgule puis un zéro qui apparaissent. Alors, le monde découvre une fée, avec elle l’idée même de la grâce parfaite d’un corps d’enfant ; et le monde découvre aussi un petit pays, coincé entre les Carpates, le Danube et la mer Noire. Comaneci devient une bombe politique mondiale, une kamikaze idéologique, une colombe qui aurait du rapporter les rameaux du Nobel de la Paix au Grand, à l’Immense Conduçator – j’ai nommé Nicolae Ceausescu. Mais voilà. Le corps change. Les mamelles ballotent (page 163), l’eau fait gonfler les tissus, et les règles épaisses diluent la grâce.
Lola Lafon raconte* avec la virtuosité d’une gymnaste et une acuité bouleversante, terrifiante, la phase terminale de l’enfance. On se souvient tous, sans doute, du corps de Comaneci qui enfla à mesure qu’elle s’approchait du pouvoir et des corps qui la possédaient – comme un bibelot. De sa fuite rocambolesque aux États-Unis, quelques jours avant l’historique et macabre mise en scène de Timisoara ; avant le procès minute des diaboliques ; avant leur exécution minute. On se souvient peut-être de cette interminable chute que fut sa vie – et pas seulement sa chute du 23 juillet 1980 à Moscou.
Une chose est certaine. On se souviendra tous, longtemps, de ce livre immense, dont les seuls sourires de la petite fée étaient, finalement, sibériens.

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*La Petite communiste qui ne souriait jamais, de Lola Lafon, éditions Actes Sud. En librairie depuis janvier 2014.
Au fait, si Nadia Comaneci a gagné des médailles à ne savoir qu’en faire, Lola Lafon n’a, elle, rien à lui envier: Prix de la Closerie des Lilas, Prix Ouest France/Étonnants voyageurs, Grand Prix de l’héroïne Madame Figaro, Prix littéraire d’Arcachon, Prix des lecteurs de Levallois, Prix Jules Rimet sport et littérature, et Prix Version Femina.