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Tu me manques.

Tu me manques

C’est le titre du livre du jour.
C’est drôle, d’ici, il m’évoque ce Ne m’appelez plus jamais France, de Polnareff. Dans ce virevoltant roman* d’Harlan Coben, il y a le même genre de litote : I ain’t missing you at all, au lieu d’ I missing you. Bref.
J’avais un peu décroché de Coben depuis quelques livres, parce ses fins étaient devenues grotesques, mais le voilà qui revient à la grâce de ses débuts. Voici donc une histoire américaine, new-yorkaise précisément (oui, de ce NY tachycardique que j’évoquais ci-dessous) ; une histoire d’esseulés, de rêveurs, de romantiques et autres faibles, beaux, touchants ; de sites de rencontres et de quelques violentes désillusions concomitantes. Voici un thriller brillant, impeccable, imparable ; avec tout ce qu’il faut d’humour, d’émotion, de sanguinolences. Une grande histoire comme les contaient alors les princes de la littérature policière américaine (James Hadley Chase, Donald Westlake, Marc Behm, Lawrence Block – entre autres), avec adrénaline et dose de morale qui, même si elle rime avec deux balles, fait toujours du bien quand elle vous arrive dans la gueule. Prenez soin de ceux que vous aimez, écrit Coben page 97%, tout le reste n’est que bruit de fond. Coben m’avait manqué. Il est revenu.

*Tu me manques, Harlan Coben. Editions Belfond. En librairie depuis le 5 mars 2015 et sur… Kindle.

Le danger des lignes droites.

Lignes de fuite

L’été (celui qui rime avec vacances) semble commencer ici. Davantage de gens, de toute la côte Est, qui viennent goûter à l’immobilisme rassurant de l’île. C’est celui d’une Amérique ancienne, calme et tellement aimable, loin de l’énergie tachycardique de New York, par exemple.
Vu Dike Bridge (ci-dessous), hier, sur l’île de Chappaquiddick ; ce pont d’où l’Oldsmobile de Ted Kennedy plongea dans l’eau en juillet 1969. Le sénateur réussit à s’extirper de l’auto, laissant, dit-on,
Mary Jo Kopechne se noyer.
Sinistre histoire qui ne nous dévoilera jamais assez l’étendue du mal possible chez l’homme (ou la femme) et dont Val McDermind nous apporte encore une fois la preuve cinglante avec son Lignes de Fuite*. Une histoire qui commence par un enlèvement d’enfant, sous les yeux de sa mère ; un début kafkaïen à souhait. S’ensuivent 430 pages (98% en Kindle) de surprises, bonds et rebonds, de fausses pistes, d’émotions, de trahisons. Une plongée amusante aussi, dans le monde d’une starlette de la téléréalité.
Mais au fond, l’enlèvement du début n’est qu’une métaphore de tout ce qu’on doit finir par enlever de soi, faire disparaître faux-espoirs, faux-amis, faux-culs – et Dieu sait que c’est si difficile -, pour trouver la paix. La paix ou, en tout cas, cette toute petite chose qui permet enfin d’apprécier sa vie.

Dike bridge

*Lignes de fuite, Val McDermind. Éditions Flammarion. En librairie depuis le 18 mars 2015, et en… Kindle.

Partir.

Partir

84 degrés Farenheit aujourd’hui sur la côte Est. Un orage qui menace. L’humidité. Le bruit des ventilateurs. La climatisation. Et la boisson nationale, qui rafraîchit tout le monde dans le General Store d’Ally, le premier ouvert sur cette île, en 1858.
Et c’est dans un été anglais de même chaleur qu’Emily décide de partir. De tout quitter. De changer de nom. De vie. D’histoire. De passé. Elle disparaît sans explication.  Sans carte bleue. Sans téléphone. Sans rien.
J’adore ce thème de la disparition depuis la lecture de La Fuite de monsieur Monde, de l’immense Simenon, et du superbe deuxième roman de Douglas Kennedy : L’Homme qui voulait vivre sa vie.
Partir* rejoint ce mythe d’un ailleurs meilleur, cette sublime illusion de « The grass is greener », cette chance qui nous est donnée de pouvoir tout recommencer. De renaître à nous même. Mais les démons savent être patients. Un  joli « page turner » d’été, qui commence dans le noir du chagrin, et s’achève dans le rose de l’apaisement.

* Partir, Tina Seskis. Editions du Cherche-Midi et en… Kindle.

En train.

La fille du train

Toujours sur ces routes magnifiques, bordées de vert, silencieuses ; où l’on croise un énorme 4X4 toutes les heures, une Camry toutes les deux heures, une joggeuse en fluo comme dans tous les films de série B tous les dix miles et, de temps en temps, un General Store où l’on trouve tout. Des « Kayak Barbie », des « butter biscuits » ou des petits trains en fer. Bref. Voici une petite virtuosité hitchcockienne, période Fenêtre sur cour (1954). Voici Rachel, tous les jours dans le 8 h 04, qui mène d’Ashbury à la gare d’Eton. Tous les jours, par la fenêtre du train, elle voit ce joli couple, et tous les jours, elle invente leur vie, un peu par désœuvrement (la sienne est déglinguée, moche, titubante à cause du chagrin et de l’alcool), et un peu par enchantement (et si sa vie reprenait vie ?). Et puis un jour, la jolie femme du joli couple disparaît. Et ce que Rachel a vu, ou cru voir, nous entraîne dans un roman à trois voix (trois voies, aussi), nous offre trois magnifiques portraits de femmes, si tragiquement humaines, qui, sous couvert d’un thriller absolument addictif, nous dépeignent chacune à leur manière, et toutes avec effroi, l’immense et cruelle banalité du désir, et la lâcheté irréversible de quelques hommes.

*La Fille du train, Paula Hawkins. Editions Sonatine et… Kindle.

Sur la route.

Sur la route

En Amérique pour de nombreuses semaines, et, pour la première fois, un Kindle dans une valise plutôt qu’une valise pleine de livres. Un Kindle deuxième génération (on en est à la quatrième), écran mat, sans rétro-éclairage, bouton sur lequel il faut appuyer fortement pour changer de page. Le poids, le papier, l’odeur, la blancheur des pages, l’objet même du livre me manquent, bien sûr, mais les mots sont là, c’est l’essentiel, et avec eux, les émotions, les frissons, les colères, les rires ; un vrai livre, quoi, malgré tout.
J’ai commencé avec un premier roman* américain, Sur ma peau, de Gillian Flynn (célèbre désormais grâce à la remarquable adaptation au cinéma de son Gone Girl, par David Fincher, avec Rosamund Pike et Ben Affleck). Une authentique histoire américaine. Un village où il ne se passe rien. Où l’ennui défigure les futurs, l’alcool les visages, et où la méchanceté devient une occupation. Une journaliste y enquête sur deux crimes, deux petites filles étranglées, auxquelles on a arraché toutes les dents. Elle a vécu là. Les souvenirs remontent, la bile aussi.
Au-delà de l’histoire elle-même, palpitante, Gillian Flynn dévoile déjà tout son immense talent à portraiturer les femmes ; descendre en elles comme dans des abysses – ces abîmes qui ne sont autres que ceux de nos frayeurs primitives, cette peur considérable de n’être pas aimé.

*Sur ma peau, Gillian Flynn, éditions Le Livre de Poche et… Kindle.

Cours, cours (2/2).

Thomasson

Après Jeanyf (voir ci-dessous), voici Philippe. Lui aussi, il court. Mais il ne court pas après, il court au-devant. Il court vers la vie, avec son cœur greffé, tout neuf. Avec ses jambes qui doutent. Son mental qui s’accroche. Bernard Thomasson nous raconte sa passion du marathon (42,195 km)*, à travers celui de Paris. Il en profite au passage pour nous faire découvrir, en 42 chapitres, ce Paris qu’on finit par ne plus voir. Et invite un certain Bénédict Maverick, coureur de 42 marathons à travers le monde, à nous parler de chacun d’eux, de chacun de ses émerveillements, de chacune de ses douleurs (il finira en chaise roulante). Existe-t-il, ce Maverick ? Qu’importe. Le réel n’est qu’une question d’imaginaire, dit Bernard. Sa plume gracile et légère comme des Asics, nous fait courir plus vite, plus loin.
Un très beau récit sur le dépassement de soi. Sur ce marathon qu’au fond on devrait faire en nous-mêmes. Sur ces retrouvailles avec soi, si importantes, mais qu’on tarde malheureusement toujours à faire, en pensant qu’on aura bien le temps.

*42km 195, Bernard Thomasson. Editions Flammarion. En librairie.

Cours, cours (1/2).

Le Guilder

Voici un roman* étonnant. Déroutant. Amusant. Enchantant. Riant. Déconnant. Insolent.
L’histoire du petit Jeanyf, quatorze ans, qui court après l’absence de sa mère, Yvette, dont le mari, donc son papa, Pierryf, peint le visage sur tout –comme quand les Anglais font des assiettes, des mugs, des t-shirt, des casquettes, des abats jours, etc, avec la tête d’Elizabeth– ou le sculpte dans du buis. Jeanyf qui court comme un lièvre dans la forêt. Comme un fou derrière un ballon. Qui court pour ne pas tomber. Qui court après la belle Bessie, quatorze ans aussi, qui confond aimer et faire mal. Qui court de surprises en surprises depuis que les nouveaux voisins ont fait, dans ce trou du cul du monde, un drôle de Club (les concombres d’ailleurs, et les pieds de chaises, et les battes de baseball et autres grosses carottes sont en rupture de stock dans le village).
L’histoire d’un petit (1,40m) gamin, qui se demande s’il n’est pas ric-rac pour la vie, mais dont le cœur immense apporte la plus surprenante des réponses.

*Ric-Rac, Arnaud Le Guilcher, éditions Robert Laffont. En librairie.

Pauvre Richie.

Richie

Voici un livre* infiniment triste.
Et ce n’est pas à cause de la plume glaciale de Raphaëlle Bacqué, une lame de 10, un scalpel qui incise cette histoire, jusqu’aux entrailles de la chambre froide, qu’il est infiniment triste non, mais à cause de Richie lui-même.
Richie, c’est Richard Descoings, charismatique, manipulateur, colérique, audacieux, idéaliste et pervers (entre autres) directeur de Science Po. Richie, comme un nom de rock star, adulé par ses élèves, courtisé par le Pouvoir (sacré Sarkozy), gangréné par tous ses désirs, toutes ses névroses, toutes ces choses qui mettent en place la plus convenue des tragédies.
Richie, c’est l’histoire (vraie) d’un couple à trois : celui qu’il forma avec Guillaume Pépy, patron de la SNCF, et Nadia Marik – que j’ai rencontré dans la pub, à l’époque où elle était bien loin de celle qu’on allait appeler la « tsarine » ou « Elena », comme dans Nicolae et Elena Ceausescu, ainsi que l’écrit Bacqué.
Richie, c’est une histoire d’appétit homosexuel sans fin, une histoire hétérosexuelle d’amour (vrai) ; une histoire de pouvoir, de détournement d’argent, de mains dans la caisse et de mains aux culs. Une histoire de petits Borgia, en somme, rue Saint-Guillaume. Une histoire banale et sordide. Un petit fait divers pavillonnaire. Mais voilà. Les noms sont connus. Il y a eu un mort. A New York. Dans une chambre d’hôtel. Il y a eu des escorts boys. Beaucoup l’alcool. Un cœur qui lâche. Ça a un parfum de Sofitel. De DSK. Alors le fait divers devient un livre. Et tous les deux sont d’une infinie tristesse.

*Richie, Raphaëlle Bacqué, éditions Grasset. En librairie.