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Courtès au Paradisi.

Franck Courtès m’avait bluffé avec son livre de nouvelles Autorisation de pratiquer la course à pied et autres échappées. J’avais même pris quelques minutes de « mon temps » chez François Busnel pour en parler. Le voilà qui revient avec un roman sur lui, sur ses chemins, ses lacs, ses pêches, ses femmes ; sur nous aussi, sur nos pertes, nos fantômes, nos joies, nos douleurs, nos rires. Et nos femmes. Un livre ample, généreux, qui sent à la fois la terre des hommes et le parfum de celles qu’ils aiment. Une histoire d’« adieux qui s’éternisent » comme l’écrivait Follain. Un livre qu’on referme comme l’album photo de la vie d’un autre, en se rendant compte que si, au départ, on n’en avait a priori pas grand chose à faire (de l’autre), il nous manque déjà.
Je ne connaissais pas Eric Paradisi. Maintenant oui. J’aimerais juste le serrer dans mes bras. Le remercier pour le livre de son amour pour elle. Flor, je crois, Flora, qu’importe. Elle, qui lui parle de l’au-delà puisqu’ici, sur cette terre, dans cet appartement, sur ce canapé, son corps a brûlé à cause d’une putain de prise multiple, d’un plaid qui dégageait du monoxyde de carbone en se consumant. C’est une vraie histoire vraie, mâtinée des nécessaires mensonges des survivants. C’est plus qu’un livre. C’est un chant. Un chant d’amour. Avec des notes de douleur. Des accords de brûlures. Un cri de nouveau-né. Une humanité foudroyante.

26 aug 14

Toute ressemblance avec le père, de Franck Courtès et Blond Cendré d’Éric Paradisi. Tous deux chez Lattès. En librairie le 28 août 2014.

Les cordonniers sont les plus mal chaussés.

Difficile soudain d’essayer de parler de mon livre1, comme je parle ici, depuis quelques mois, de ceux des autres. Ainsi donc, me revoilà après une mercière millionnaire et une actrice ronchon, avec une histoire de famille, dans la veine de L’Écrivain de la famille (justement). Une histoire éternelle sur l’incapacité de donner et de recevoir ; sur la goutte d’eau qui fait déborder le vase de l’amour, de la patience et de la tolérance. Une histoire de voyage aussi (oui, oui, je délaisse -le temps de la deuxième partie- mon pays ch’ti et ses gens « simples ») où l’on découvre ce qui nous fait défaut : l’amour, la patience et la tolérance (justement). Et enfin, parce que je garde un très joli souvenir d’avoir été une certaine Jocelyne le temps d’un livre, dans la troisième partie de celui ci, je me plonge cette fois dans le corps (défait) d’une ado, je gratte, je ponce, je récure, jusqu’à trouver ce graal qui fait les vies humaines, qui fait l’estime de soi et la grâce d’être resté en vie : le pardon. (Je n’aime pas trop le mot, mais n’en ai pas trouvé d’autre).

20 aug 14

  1. On ne voyait que le bonheur, aux éditions JC Lattès. Sortie aujourd’hui.

Le livre qui ne fut pas écrit.

14 aug 14

Peau d’Ours* (1958) sont les notes d’Henri Calet pour un roman qui aurait du s’appeler Peau d’Ours. Mais voilà, Henri Calet est mort en 1956, avant de pouvoir utiliser ses notes. Bien que son fils Luc (âgé de six, sept ou huit ans) lui ait dit : « Retiens-toi de vieillir, je ne veux pas que tu aies 52 ans », Henri Calet est mort à 52 ans, d’une crise cardiaque. Dans ses dernières notes – qui prennent, page après page, la bouleversante narration d’un journal, la douceur d’un adieu annoncé, triste –, il écrit : Je marchais en avant. J’ai été frappé d’une balle dans la région du cœur. Ces notes deviennent un véritable livre. Une histoire d’amours plurielles, de paternité douloureuse, d’écriture impérieuse. Calet est un poète avant tout, capable de faire dire à une femme : Vous m’avez beaucoup trompé avant de me connaître ? et d’achever son livre, deux jours avant sa mort par : Ne me secouez pas, je suis plein de larmes. Une phrase qui fait un tel écho en moi, une telle brutalité, qu’elle est devenue l’épigraphe de mon prochain roman*.

*Peau d’Ours, comme toute l’œuvre d’Henri Calet est publié aux éditions Gallimard. **On ne voyait que le bonheur. Editions JC Lattès. Sortie le 20 août 2014.

Une panne textuelle.

11 aug 14

Jamais l’idée de couverture n’aura été aussi juste pour un livre. Sous celle de Laurence Tardieu, qu’elle soulève doucement pour nous inviter à la rejoindre dans le lit de sa vie, elle nous raconte sa longue nuit compacte. La douleur physique : le dos, la main droite. La petite tragédie : ne plus pouvoir faire de nattes à ses filles. La grande tragédie : ne plus pouvoir écrire. Un dimanche d’automne 2011, alors que Laurence T. (c’est ainsi qu’elle choisit de se nommer dans cette chambre), alors qu’elle se tient au bord de l’abîme, le hasard la conduit au Musée du Jeu de Paume, où elle découvre l’œuvre de Diane Arbus. La rencontre en sauvera une. Entre les deux femmes (Laurence T. va avoir 40 ans, et 40 ans la séparent de Diane A.), s’installent un étonnant langage, une conjugaison de silences éloquents, une liste de points communs inattendus, d’échec amoureux semblables, deux filles, un premier amour jamais loin ; mais les relie surtout une formidable même envie de vivre dans un autre monde que le leur. Diane choisira la photo. Laurence l’écriture. Cette écriture décidée si tôt, annoncée si abruptement à son père, balayée si vite par sa mère ; cette écriture qui, après avoir failli la tuer, lui rend enfin la vie.

Une vie à soi, Laurence Tardieu, éditions Flammarion. Sortie fin août 2014.

À ta santé, Bernard.

2 aug 14

Un été sans alcool, peut-être ; mais surtout, un été avec le livre de Bernard Thomasson. Un été sans alcool est un roman passionnant sur la recherche du père, sur la chute dans les noirceurs du passé (Brive, le massacre du Puy-du-Chien, le 13 novembre 1943) et la naissance des sentiments ; un grand roman sur l’amitié, sur l’échec, la lâcheté, la faiblesse : tout ce qui fait la grandeur des hommes. Bernard écrit vite, il écrit bien, sans fioritures, sans pathos. Il écrit les cœurs qui battent, qui s’essoufflent puis se taisent soudain. Il écrit magnifiquement ces incertitudes qui sont le socle de nos vies. Un été sans alcool est un roman plein de rebondissements à lire d’urgence, à l’ombre d’un pin, un verre de rosé à la main, comme un sang clair, lavé de toutes nos hontes.

Un été sans alcool, Bernard Thomasson, éditons du Seuil, en librairie depuis mai 2014.

Haute Voltige.

31 jul 14

Voici un très joli premier roman. Le long voyage retour d’un homme sans prénom, dans le temps léger de son adolescence et de ses premiers pas d’homme. Marc Pondruel (il a sans doute longtemps possédé la Carte Jeune et/ou un Pass Interrail) nous entraine à Lille, à Niéville (ville imaginaire), à San Francisco, Moscou, Budapest, à Paris ; dans le cœur aussi d’une Nina, dans l’absence d’un père qui aimait la même chanson de Dylan que lui, dans la voltige triste d’un certain Witold, dans les affres de ces amitiés que le temps ronge. Il nous fait plonger dans la mélancolie amère de la perte de ces années qui firent de nous des adultes, des désillusionnés déjà. Il en naîtra un homme grave. Et beau.
Et ça, c’est sucre, comme il dit.

Le Voltigeur, Marc Pondruel, éditions Lattès. Sortie le 28 août 2014. (Un coucou en passant, à Fatia Guelmane et Claire Silve).

La plume de Maria.

24 jul 14

Maria Ernestam pourrait être une cousine suédoise de Laura Kasischke. Comme elle, elle maîtrise l’art feutré de ces narrations sur la pointe des pieds ; le don de ces mots innocents qui décrivent les grands tourments ; la grâce de ces souvenirs posés là, l’air de rien, d’apparence heureux, mais qui sont des guerres. Les oreilles de Buster (depuis deux ans dans ma bibliothèque sans que j’aie envie de l’ouvrir – et pourquoi ces jours-ci ? je ne sais pas) est un livre envoûtant. A 56 ans, Éva se met à noircir les pages d’un cahier que lui a offert sa petite fille. Éva se raconte. Éva se dévoile. Ne ment plus. Nous confesse tout. Elle nous entraine malgré nous dans ses ombres fascinantes, nous cogne aux murs de ses lumières. Éva est une femme formidable, touchante et vénéneuse. Une fille blessée. Une amoureuse contrariée. Elle est le sel même des grandes vies romanesques. Une très belle rencontre. (Au fait. Buster, c’est le nom d’un chien. Et les oreilles, c’est ce qu’elle lui coupe pour les garder sous son oreiller ; avoir ainsi une oreille… attentive).

Les oreilles de Buster, de Maria Ernestam, aux éditions Gaïa, depuis novembre 2011, et en poche (éd. Babel) depuis janvier 2013.

Toi, toi, mon toit.

22 jul 14

De l’angoissant Jeune fille cherche appartement (de Barbet Schroeder, 1992) au réjouissant La Gueule de l’autre (de Pierre Tchernia, 1979), en passant par les très beaux livres de Douglas Kennedy, L’Homme qui voulait vivre sa vie et La Fuite de Monsieur Monde de Georges Simenon, prendre la place de quelqu’un d’autre a toujours été un sujet inspirant. Cette fois, c’est Jean-Marc Pitte qui s’y colle avec son écriture précise, rapide, dégraissée, sans complaisance – il n’est pas grand reporter pour rien ; et nous raconte avec virtuosité les fantômes de Camille, son enfance ballotée de foyers en foyers, ses rebellions, son entrée dans le monde des adultes en passant par Haïti (au service d’une ONG) où elle découvrira la violence primitive des hommes ; la naissance de la barbarie. Jusqu’au jour où, de retour en France, elle croisera la route d’Aline… C’est le deuxième* roman policier de Jean-Marc. Comme tous les bons polars, il se lit d’une traite ; et même si, à la fin, il doit recourir à un double salto (à cause de l’impasse même du thème de l’usurpation -mais habile dans ce cas), il nous apprend que Jean-Marc est un formidable auteur à lire tout de suite. Et à suivre longtemps.

Usurpation. Editions du Préau. Sorti depuis le 19 mai 2014. Idéal en train, en avion, au soleil et sous la pluie un jour de fête nationale à Montréal. *Déjà paru : Gueule d’Ange, aux éditions J’ai Lu.