Author Archive | Grégoire Delacourt

Tout est bon dans le Sempé.

sempe

Jean-Jacques Sempé est l’un des plus brillants écrivains* que je connaisse. Et l’un des plus créatifs aussi : au lieu de les écrire, il dessine certains mots qui disent « petit homme », « grande ville », « grand désespoir », « joie minuscule », etc. Au lieu de former des lettres, sa plume révèle des visages, des situations tragiques, comiques, parfois tendres. Il est le grand observateur de nos égos mal placés, nos travers, nos rêves brisés. Le pourfendeur de nos illusions ridicules. Un moraliste flamboyant dont les mots, qui légendent ses dessins, sont eux aussi des pépites absolues. Ainsi ceux-ci, sous un dessin où l’on voit une femme qui vient de quitter sa vaisselle, menacer d’un revolver son mari tranquillement assis dans un fauteuil : J’aurais aimé que tu sois quand je t’ai rencontré, un artiste pauvre et malade. Je t’aurais soigné. Je t’aurais aidé de toutes mes forces. Nous aurions eu des périodes de découragement, mais aussi des moments de joie intense. Je t’aurais évité, dans la mesure de mes possibilités, tous les mille et un tracas de la vie afin que tu te consacres à ton art. Et puis, petit à petit, ton talent se serait affirmé. Tu serais devenu un grand artiste admiré et adulé, et, un jour tu m’aurais quitté pour une femme plus belle et plus jeune. C’est ça que je ne te pardonne pas.
À Noël, Sempé, c’est parfois plus sûr qu’un Goncourt.

*Denoël a publié la plupart de ses albums et Folio a repris beaucoup de ses dessins.
Cadeau de Noël : Un petit homme sur un monticule de terre regarde le ciel. Légende : J’ai pardonné à ceux qui m’ont offensé. Mais j’ai la liste. Bonne année à tous.

Carrisi, le Caruso du thriller.

Carrisi

Je me souviens, au Groeningemuseum de Bruges, d’un tableau de Gerard David datant de 1498, Le Jugement de Cambyse : Le Supplice. On y voyait un homme se faire écorcher vif sous le regard de quelques bourgeois dodus. J’avais failli tourner de l’œil. J’avais onze ans.
Quarante-trois ans plus tard, c’est donc avec une certaine appréhension que j’ai ouvert (les yeux sur) le roman de Donato Carrisi*. J’avais lu, il est vrai, son célèbre et implacable Chuchoteur** ; et, en matière d’écorchée, c’est finalement d’âme qu’il s’agit avec lui. Ce qui, soit dit en passant, est peut être le plus grand des supplices. Voici donc une nouvelle enquête à vif de Mila Vasquez (magnifique flic, comme l’était la Lorraine Page de Lynda La Plante***), sur les traces de disparus innocents, qui réapparaissent pour écorcher quelques peaux – presque malgré eux. Et le génie de Carrisi, vous verrez, tient dans ce « presque ». Comme pour Le Chuchoteur, c’est habile, pervers, diabolique, bref, prodigieusement humain.

*L’Écorchée, de Donato Carrisi, aux Livre de Poche, dans une superbe édition collector.
**Le Chuchoteur, du même, toujours au Livre de Poche, n°32245.
***Coup de froid, Sang Froid et Cœur de Pierre, de Lynda La Plante, tous trois aux éditions du Livre de Poche. Décidément.

 

Jolie indigène cherche mariage.

Bien que je l’aie croisé deux ou trois fois, que je sache qu’il est belge, qu’il aime le latin et le grec une fois, et qu’il mange très proprement (nous avons partagé la même table au dîner de clôture du Salon du Livre de Montréal en 2012), je ne connais pas Armel Job. C’est donc un homme discret, élégant (comme tous les hommes discrets), un auteur fin et exigeant à en juger par son roman paru en 2000, La Femme manquée*. Une trame certes classique : un homme cherche une femme, la trouve dans les petites annonces – oui, oui, comme un lave-vaisselle -, mais des personnages de toute beauté. Elle, Opportune, une belle indigène (sic), et lui, Charles, un fermier ardennais. Leur rencontre est belle, rare, bouleversante. Le final éblouissant. L’écriture d’Armel Job est précise comme une plume de clerc de notaire. Et comme chez Pagnol, toute l’immensité du cœur d’un homme se révèle au plus profond de son chagrin. (Je n’aime pas trop les jeux de mots, mais pour une fois : ne manquez pas La Femme manquée).

Jolie indigène cherche mariage

*La Femme manquée, d’Armel Job, première édition chez Robert Laffont (2000), celle ci, chez Espace Nord (2012). Prix Emmanuel Roblès et Prix René Fallet.

La balade entre les tombes.

Bien que ce soit le titre d’un épatant roman policier du grand Lawrence Block, paru en France en 1994* (deux ans après l’inoubliable Une danse aux abattoirs), il aurait très bien pu être celui du nouveau livre de Thierry Clermont**, qui nous invite, lui, à une balade moins violente, mélancolique même, entre les tombes de San Michele, l’île cimetière de Venise, en compagnie d’une certaine Flore. Comme il s’agit ici d’un récit, on y croise certains morts illustres, comme Stravinsky, Diaghilev, Aragon (qui faillit mourir sur la Sérénissime), D’Annunzio et tant d’autres –poètes oubliés, suicidés, jusqu’à cette Flore qui ( …) gisait dans son sang. Elle s’était fracassée le crâne à coups de marteau, après avoir ingurgité un mélange de rhum et d’antidépresseurs. Son visage était sans sourire, sans vie***. Alors soudain, la nostalgie vénitienne de Clermont rencontre la violence américaine de Block, et c’est un régal.

La balade entre les tombes
*Editions Points.
**San Michele, de Thierry Clermont, aux éditions du Seuil, Fiction & Cie.
***Page 154.

On the road.

Outre une sélection sur la liste du Prix Goncourt cette année, quelques jours en province dans le cadre du Goncourt des Lycéens, nous partageons, Joy Sorman* et moi, une très grande tendresse pour ce Canada** de Richard Ford. Notamment, pour l’une des plus belles scènes de filature en voiture jamais écrites ; décrite par un enfant, Dell Parsons, dont la route chaotique va le mener à la cruauté de la vie d’homme et surtout, bien au-delà. A lui-même.

On the road

 

*La peau de l’ours, éditions Gallimard.
*Canada, de Richard Ford, éditions Points. Prix Femina Étranger 2013.

Après Mick, Pierre.

Vavasseur

L’immense Pierre Vavasseur (journaliste à la plume velue, écrivain doué et poète pudique lorsqu’il ne chante pas) nous revient enfin avec sa guitare, ses grolles graves et des chansons douces comme les chantait ma maman ; apaisantes, même, à côté desquelles dit-il, Carla Bruni, c’est les Shaka Ponk. Ne pas y aller c’est se priver d’un peu de la beauté du monde.
Deux dates, donc : Le jeudi 4 décembre à 20h15 au Café de la Mairie*, 51 rue de Bretagne, 75003 Paris. Et le vendredi 12 décembre à 19h30 au Théâtre de l’Alliance Française**, 101 boulevard de Raspail, 75006 Paris.

* Au premier étage, dans une salle à l’acoustique entièrement rénovée. Le patron apprécierait une conso.
** En ouverture de la soirée « Mots en Musique ». Présentation par Jérôme Clément. Entrée libre. Cocktail après. Très chic, quoi.

La femme à monsieur Jules.

La femme à monsieur Jules

Une libraire (celle qui a un chien qui me regarde comme si j’étais une saucisse) m’a un jour conseillé ce livre*. Qui ne donne pas forcément envie au premier abord. Imaginez, un couple de vieux. Après une vie ensemble, elle a obtenu du monsieur du titre qu’elle ait droit à quelques instants seule dans leur lit, chaque matin, pendant que le Jules en question prépare le petit déjeuner. Mais voilà. Ce matin là, quand elle s’extirpe de sa confortable solitude méritée, le julot s’est rendormi sur le canapé (bon, après avoir préparé le petit déjeuner, il est vrai). Mais ce qui trouble la femme à monsieur Jules, c’est que ses lunettes sont par terre. Alors elle devine. Elle comprend. Elle sait. Elle va alors enfin pouvoir lui dire, à Jules, tout ce qu’elle a sur la patate depuis tant d’années. Le bon comme le mauvais. Tout. Même les enfants qui disparaissent avec l’eau des toilettes, comme des chatons. C’est beau, c’est féroce, c’est désespéré, c’est profondément humain.

*Une journée avec monsieur Jules, de Diane Broeckhoven, enfin en 10/18 (Merci Carine Fannius).