Archive | Bouquins.

Un peu de Bleue dans tout ça.

Surprise. Il n’y a pas que les romans dans la vie. Il y a les livres d’art* qui permettent de découvrir un artiste qui écrit avec d’autres mots que les mots et surtout d’en savourer parfois la préface, ici signée de Michel Persitz dont on se souviendra du sublime Juif de Personne (Lattès, 2020). Il nous présente Bleue Roy. « Son père avait la silhouette inébranlable des phares bretons. Elle a hérité de son fier maintien, un port de tête droit, le menton levé, le regard direct, franc et clair. Pour beaucoup, chez une femme, c’est déjà trop ». Davantage qu’une simple présentation convenue d’un peintre brillant par un auteur brillant, voici un texte d’amour fou, comme il y eut des merveilles entre Éluard et Gala ou Aragon et Elsa. 

*Bleue Roy, Jubilant Abstraction. Balzac Publishing, 6502 San Vicente Blvd, Los Angeles, USA.

De toute beauté.

De quoi 2021 est-il fait ? De poésie, soudain. De poésie, enfin. Voici Le Neveu d’Anchise, 31ème livre de Maryline Desbiolles (mais où ai-je vécu ces trente dernières années pour n’en avoir jamais lu un seul ?), 136 pages de vent, de chair, d’enfance, d’arrière-pays et d’abeilles. Je ne sais pas de quoi ce roman est l’histoire. Je m’en fous un peu, à la vérité. Sans doute parle-t-il de l’enfance, du désir, du corps, de la trompette et de Chet Baker, du visage parfait d’Adel qui tisonne le cœur et le ventre d’Aubin, le neveu qui nous raconte ce chant des champs, des poubelles et des chiens effrayants. Desbiolles (qui a obtenu le Prix Femina en 1999 pour Anchise, l’oncle du neveu de ce livre, Anchise qui s’est réellement consumé d’amour en se brûlant dans sa voiture), écrit comme on n’ose plus, comme on en rêve, comme doivent être les livres qui sont plus grands que la vie, la saupoudrent d’un sel essentiel, extrêmement délicat, celui qu’on ne trouve que sur une joue après la larme d’un authentique chagrin. La poésie est ce qui nous sauvera.

*Le neveu d’Anchise, de Maryline Desbiolles. Éditions du Seuil, coll. « Fiction & Cie ». En librairie depuis le 7 janvier 2021.

Héroïque Wanda.

De quoi 2021 est-il fait ? Voici le livre* d’une jeunesse. Et donc d’une fin. Car la jeunesse ne dure pas. Tout comme la vie. Voici Wanda, 70 ans, Wanda qui part (de la vie) et part (de sa chambre d’hôpital) pour aller mourir là où « il n’est ni honteux ni étonnant de mourir » (page 210). Et de ce voyage, c’est le voyage intérieur le plus beau. Celui qui nous fait parcourir, dans une écriture fine et drôle souvent, une jeunesse polonaise au temps des années de plomb, de l’URSS et des Rolling Stones, du LSD, de la littérature et de l’amour. C’est parce que sa chair fond et sent désormais mauvais, dit-elle, qu’elle se souvient de sa chair d’avant, pleine, sa chair de femme, chère épouse, chair d’amante et l’offre aux mots de sa mémoire. Pauline Dalmayer signe un deuxième roman essentiel en cette période humainement apocalyptique puisqu’elle pose la question du choix de la fin de vie. Et, puisque dans fin de vie, il y a vie, elle nous rappelle que celle-ci, toujours, a été importante. Comme celle de Wanda. Comme la vôtre. La mienne. Celle du type qui passe, là-bas.

*Les Héroïques, de Pauline Dalmayer. Éditions Grasset. En librairie depuis le 13 janvier 2021.

Le PQ et les pâtes.

De quoi 2021 est-il fait ? Sans doute de beaucoup de questions, et de doutes, à en croire ce « roman » de Véronique Pittolo, car voici un livre dégenré, c’est-à-dire qu’il appartient à sa propre catégorie. Tout à tour, journal, notes, brèves, revendications, plaintes, gémissements, À la piscine avec Norbert ne raconte rien d’autre que le monde vu par sa narratrice dont on sait trois choses, 1) qu’elle a la soixantaine et qu’elle aimerait ressembler à Laure Manaudou ou Ursula Andress, comme elles, avoir un corps aquatique, ce qui explique qu’elle va bien souvent à la piscine (avec Norbert), 2) du coup, qu’elle est assez branchée cul et 3) qu’elle fait une fixette sur le salaire des patrons du CAC 40**. À part ça, c’est un joyeux salmigondis, assez agréable à lire. Un cocktail 50% cul (dont la répétition, malgré la sodomie de 3 heures du matin, finit par être bien triste) et 50% réflexions sur l’air du (mauvais) temps. Tout cela me fait penser à cette blague que j’avais entendue au début du confinement, il y a donc fort longtemps maintenant, quand les gens dévalisaient les rayons des supermarchés. « Pourquoi n’y a-t-il plus de PQ ni de pâtes ? Parce que les Français aiment le cul et le blé ». Bonne année à tous !

*À la piscine avec Norbert, de Véronique Pittolo. Éditions du Seuil. En librairie le 7 janvier 2021.
**À ce propos, chère consœur ch’ti, lorsque vous écrivez, page 163/164, en gros, qu’au lieu d’acheter Tiffany pour 16 milliards de dollars, Bernard Arnault pourrait financer les retraites des moins avantagés, vous faites un raccourci bien douteux. J’en fais un à mon tour: considérez aussi l’argent de nos chers footballeurs (ce sont des types qui courent derrière un ballon). Neymar, 36,72 millions/an, Mbappé, 22,92.

Bonjour tout le monde.

De quoi 2021 est-il fait ? Eh bien voilà. Ce qui devait arriver arrive : les livres sur le confinement écrits pendant le confinement. C’est Ariane Ascaride qui s’y colle cette fois*, sous la forme de lettres adressées à feu son père, rédigées pendant le premier confinement (mars-avril 2020). Une sorte de journal intime épistolaire où l’on n’apprend rien de plus que ce qu’on a tous vécu, tous ressenti (solitude, absence de l’autre, énervement contre Sa Majesté Macron et Consorts, espérance de lendemains qui chantent, etc, etc). Jusque là, bof. Mais ce qui est intéressant, comme toujours, ce sont les lignes entre les lignes. Les liens compliqués d’une fille avec son père, la douleur de du vide, qu’on a certes tous plus ou moins connu, mais racontés ici par une fille d’immigré italien qui a gardé ses illusions d’un monde d’avant, tendance égalitaire, entre le kolkhoze et Auroville. C’est ce qui est assez touchant finalement et vaut la lecture agréable de ce Bonjour Pa’. Cette désillusion-là.

*Bonjour Pa’, de Ariane Ascaride. Éditions du Seuil. En librairie le 21 janvier 2021.

Chic et choc.

De quoi 2021 est-il fait ? Il y a dix ans, Olivier Mony nous régalait avec Du beau monde*, une galerie chic de personnages chics, crayonnés d’une plume élégamment circonvolutionnée, dégageant à l’arrivée du point final, la douce nostalgie d’un art de vivre perdu. Le revoici avec ce petit livre** (143 pages) au long titre, Ceux qui n’avaient pas trouvé place, qui fait étrangement écho au précédent tant il semble que le personnage dont nous il nous brosse le mélancolique portrait, ce Serge Elbouki, devenu Diala, devenu 17 autres patronymes et autant de personnages, n’aurait probablement pas trouvé sa place dans Du beau monde.
Et pour cause. Serge est un voyou. Mais magnifique, comme on en croisait dans le cinéma et la littérature des audacieuses années 60/70, escogriffe, menteur, charmeur, capable de disparaître au milieu d’une phrase puis de réapparaître dix ans plus tard sous une autre vie. On pensera bien sûr à l’inoubliable Alain (sublime Maurice Ronet) du feu Follet de Drieu, et ce n’est pas un petit compliment.
Mais ce n’est pas tant le portrait du bonhomme qui fascine que la façon dont Olivier Mony le croque avec son écriture désenchantée, son passé simple, son plus-que-parfait, ses longues phrases envoûtantes, tout comme son mignon péché du name dropping. Il semble nous rappeler à quel point l’invention de nos vies lui manque. Nous prévenir du danger des bonheurs conformes. Et nous crier : Vivons, on n’a pas le temps !

*Du beau monde, de Olivier Mony, éditions Le Festin, coll. Les cahiers de l’éveilleur, 2011.
**Ceux qui n’avaient pas trouvé place, éditions Grasset. En librairie le 13 janvier 2021.

Amis à mort.

De quoi 2021 est-il fait ? Voici un texte précieux. Délicat. Plein de grâce. Une errance dans l’enfance comme celles, parfois, de Erri de Luca. Dans son dernier livre*, Andreï Makine nous raconte une amitié de jeunesse, deux orphelins dans une institution de Sibérie, l’un protège l’autre, affaibli par une mystérieuse maladie, de la méchanceté des autres gamins. Il n’en faut pas plus pour que ce déroule ce voyage dans un quartier sans beauté où s’est installée une communauté d’Arméniens afin de rester proches de leurs amis emprisonnés loin de leurs terres. Voici le petit « Royaume d’Arménie » où l’on vit de souvenirs, de parfums et d’espoirs et où l’amitié de ces deux gamins, Vardan et le narrateur, va changer à jamais la façon d’être un homme. Quel dommage que l’immense Robert Mulligan ait eu la mauvaise idée de nous quitter il y a deux ans déjà, il aurait fait de cet Ami arménien, un film d’une sublime poésie.

*L’Ami arménien, de Andreï Makine. Éditions Grasset. En librairie le 6 janvier 2021.

Les fantômes de Chiche.

C’est d’abord l’écriture qui frappe. Mais qui frappe. Comme on prend des baffes. Ou des gnons. Du coup, on est limite dans les pommes. Alors on se laisse aller. Comme une feuille au fil de l’eau d’une écriture. On suit l’histoire de cette famille de doux-dingues, mais sans les guimauves d’un Capra ou le bastringue d’un Bourdeaut. On assiste à l’histoire d’amour incendiaire des parents de la narratrice. Leur sexualité. Leurs besoins. Leurs faims. Des mots qui cognent, ceux-là. Coups indélébiles. Et puis la mort. Bien sûr. La mort trop tôt du père brillant. Du père amoureux. Inaccessible. Et puis la chute. Le deuil. Interminable. L’inconsolabilité. La dépression. La mort dont on voudrait qu’elle s’empare de soi, comme un gel. La folie qui pointe. Et la résurrection. Plus violente que la rédemption. Plus implacable aussi. Avec l’intime et flamboyant Saturne, Sarah Chiche raconte ses enfers (qui rime avec père) et nous prouve, une fois encore, que l’écriture, lorsqu’elle possède une telle force, a réellement un pouvoir de sorcier. Bon Noël à tous.

*Saturne, de Sarah Chiche. Édition du Seuil. En librairie depuis le 20 août 2020. A été sélectionné pour les Prix Goncourt, Femina, Médicis et Académie Française. Pas rien, tout ça.