Archive | Bouquins.

Dugain, l’homme pressé.

Je ne sais pas si ce texte 1 de Dugain fit grand bruit à sa sortie ou s’il passa inaperçu mais il est en tout cas fort riche d’enseignements. Sous prétexte de nous raconter le tournage de son dernier film L’Échange des princesses 2, il nous livre finalement « un petit livre de souvenirs sans profonde nostalgie » (page 167).
Eh bien, je ne crois pas qu’il soit sans profonde nostalgie.
Ainsi découvre-t-on qu’il a « tourné le dos à la société marchande pour l’art 3 » (page 163), qu’il écrit La Chambre des officiers 4 car, n’ayant pas « les codes pour en faire un film », il en fit un « petit livre » (page 74). Qu’il a détesté son second roman 5 et regrette de l’avoir écrit. Je sais par son producteur 6 qu’il a écrit Avenue des géants 7, inspiré par la terrifiante histoire d’Edward Kemper (Al Kenner dans le roman), 2,2 mètres et un QI supérieur à celui d’Einstein, sérial killer horrifique, dans le but de réaliser le film et que ce rêve est toujours sur sa table.
À lire cet Intérieur Jour, on s’aperçoit à quel point le cinéma est sa grande histoire d’amour avec la vie et je comprends mieux pourquoi ses romans ont toujours, à mon goût, ce petit parfum de scénarios : images d’époque, bandes sons amples, montage – davantage que construction, bref autant de déclarations enflammées à cet art qui le fascine, tout comme ceux auxquels il rêve de s’approcher, Lynch, Kubrick, Scott (Ridley, mais uniquement pour Les Duellistes : après ce film, juge Dugain, Scott n’a fait que céder aux choses commerciales).
Dans ce livre bref, Dugain dit de lui qu’il est hyperactif (à y lire le nombre de références à son âge, moi je crois qu’il est terrifié à l’idée de disparaître et c’est ce qui rend ce texte écrit à la va-vite 8 assez touchant). En 22 ans : 15 romans, 5 longs-métrages, 1 scénario de BD, 1 mise en scène au théâtre, je ne sais combien de collaborations à des séries télé, des centaines d’articles dans la presse, de la batterie chaque jour (depuis 45 ans) et chaque jour un long jogging. Dugain court. Ne s’arrête jamais. Se mêle de tout. Affirme 9 que le vol MH370 aurait été abattu par une base américaine et reçoit des menaces de mort. Dugain fonce. Dugain fuit. La vie de Dugain est un film. Espérons qu’il ait le temps de le tourner.

1. Intérieur Jour, de Marc Dugain. Éditions Robert Laffont, coll « Les passe-murailles ». En librairie depuis le 20 septembre 2018.
2. https://www.youtube.com/watch?v=Y0a9K5YA99U
3. Avant d’écrire, Dugain était dans la finance et l’aviation. Devenu producteur, il conserve un pied dans cette bonne société marchande.
4. https://www.editions-jclattes.fr/la-chambre-des-officiers-9782709622943   C’est finalement François Dupeyron qui réalisera le film.
5. Campagne anglaise (2000) publié chez Lattès, suite à quoi il se fâchera avec son éditeur et en changera.
6. Il s’agit de Patrick André, avec lequel j’ai eu le plaisir de faire quelques films de réclame.
7. http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/Avenue-des-Geants
8. Il me semble avoir lu qu’il l’avait écrit en un mois. (Simenon écrivait un roman en 27 jours, mais ce n’est pas tout à fait pareil).
9. https://www.lexpress.fr/actualite/societe/mh370-marc-dugain-le-romancier-devenu-malgre-lui-chouchou-des-complotistes_1705210.html

Ramène ton Char.

Lire au temps du virus. Lire un autre temps, un autre mal, celui du temps où ce n’étaient pas les chefs qui péroraient qui gagnaient les guerres, mais les troupes, les hommes et les femmes de l’ombre. En ce temps bavard où chacun a sa vérité sur ce qui nous décime, ramenons l’immense René Char au centre et écoutons-le.
Les Feuillets d’Hypnos*, ce sont 235 notes écrites entre 1943 et 1944 alors que René Char était engagé dans la Résistance sous le nom de Capitaine Alexandre – on peut d’ailleurs penser, à la lecture de la note 87 (adressée à Léon Saingermain et qui fixe quelques protocoles) signée Hypnos qu’il ait aussi pu emprunter ce nom, du grec Húpnos, dieu du sommeil, mais aussi jumeau de Thanatos, et père de Morphée, dieu des rêves. Car René Char, dans une écriture libérée de tout – ah ce “Guérir le pain. Attabler le vin” (note 184) –, nous offre ses réflexions poétiques en temps de guerre, donc de mort, ce grand chambardement d’un homme, inutile et nécessaire, et n’a de cesse que de nous réveiller de nos torpeurs craintives, de nous pousser dans l’abîme de la vie, comme au coeur d’un feu dont nous serions les cendres éternelles. La guerre, finalement, est le seul temps dont on dispose pour se refaire une humanité. Comme on se refait le portrait. Alors, lire Char aujourd’hui, c’est bien mieux et plus salutaire qu’écouter notre chefaillon de guerre. Voici sa note 195:
“Si j’en réchappe, je sais que je devrai rompre avec l’arôme de ces années essentielles, rejeter (non refouler) silencieusement loin de moi mon trésor, me conduire jusqu’au principe du comportement le plus indigent comme au temps où je me cherchais sans jamais accéder à la prouesse, dans une insatisfaction nue, une connaissance à peine entrevue et une humilité questionneuse.”

*Feuillets d’Hypnos, de René Char. Éditons Gallimard (1946), coll Espoir, dirigée par Albert Camus.
Un immense merci à Michel Persitz pour m’avoir offert ce livre rare.
PS. Désolé pour l’effroyable jeu de mots du titre de cet article. Mais je voulais vous interpeller sur la nécessité de ramener Char dans nos lectures.

À ne pas manquer.

Lire au temps du virus. À l’heure où les choses se déconfinement et bien qu’on ne puisse encore retrouver les embrassades d’antan, quelle joie de lire une étreinte fabuleuse entre une mère et sa fille. Histoire de nous rappeler à quel point c’est chouette. L’amour.
Revoilà Lorraine. Avec son écriture à pas feutrés. Ses histoires groisillonnes. Ses voyages au bout du monde. Ses personnages pétris de tendresse, parfois tordus par quelques chagrins. Et toujours ses fins bienheureuses – à ne pas confondre avec ces happy ends bêtifiants. Mais attention. Elle nous délivre ici, je crois, une histoire très personnelle. Et comme la pudeur l’oblige, elle la dissimule sous une couverture au graphisme léger. Dans un roman doux. Confortable.
En 2014, elle nous avait offert un bijou, J’ai rendez-vous avec toi*, où elle portraiturait son père, cet immense gaillard, ministre du Général, diplomate, papa parti trop tôt, un récit sans aucune briganderie racoleuse
Voici qu’elle nous parle cette fois de sa mère, sans oser le récit – du coup, la distance qu’elle met n’en rend les choses que plus bouleversantes.
Ainsi Cerise (Lorraine), écrivain (comme Lorraine) raconte que Lise (sa mère) ne voulait pas d’elle, mais d’un garçon. C’est l’origine du grand malentendu. Les deux ne parviennent pas à s’aimer. L’abîme se creuse encore lorsque Alex (son père) meurt et qu’elles se retrouvent seules. La mère sans fils. La fille sans père. Lorraine, pardon, Cerise, raconte alors ces rendez-vous manqués entre elles, ces mots de travers qui restent en travers de la gorge, ces gestes qui blessent alors qu’ils se voulaient tendres. Et puis Lise tombe malade. La maladie de l’oubli. Elle redevient enfant. Se prend pour un lapereau. Tape du pied comme le Panpan de Bambi. C’est la fin de sa vie. C’est la fin du livre. Ce sont les plus belles pages de Lorraine. Celles où éclot l’amour d’une mère et de sa fille. Celles où l’ombre du père s’affine pour laisser une place. Celle où la mort réunit dans la vie ceux qui s’aiment et ont failli se manquer. Les mots arrivent tard. Mais ils sont enfin là. Pour toujours.
Lorraine est désormais orpheline, mais ses parents sont vivants.

*J’ai rendez-vous avec toi, éditions Héloïse d’Ormesson, 2014.
** J’ai failli te manquer, de Lorraine Fouchet, éditions Héloïse d’Ormesson. Sortie en librairie le 4 juin 2020.

Quand Guillaume essaie de tuer Musso.

Dans La vie est un roman*, comme déjà dans La Fille de papier, le héros est écrivain** et rencontre ses personnages. Autour de cette improbabilité se crée une tension (ici une disparition d’enfant), prétexte à rebondissements, surprises, tours de passe-passe, bref, cette Musso touch que résume très bien l’un de ses fans : « À chaque fois je crois deviner et ce n’est jamais le cas ».
Ce qui m’a, moi, tout à fait interpellé dans ce millésime 2020, comme dans le précédent où était déjà (dé)mis en scène un écrivain, c’est la poursuite de Guillaume en lui même, à savoir sa plongée dans son travail. Ou plus exactement, sa réflexion sur sa position d’écrivain.
Romain Ozorski, son personnage, autant dire son « double », écrit : « Mes livres se vendaient (très) bien, certes, mais ils n’étaient plus lus qu’à travers une étiquette. Ils ne constituaient plus un événement, au mieux un rendez-vous annuel. J’étais fatigué d’entendre toujours les mêmes choses à mon sujet, de répondre aux mêmes questions dans les interviews, de me justifier d’avoir du succès, des lecteurs, de l’imagination ».
Au travers des nombreuses réflexions qui le font se questionner sur le succès et son sparadrap haddockien, il me semble que Guillaume s’interroge ici sur l’idée de s’éloigner de Musso pour se rapprocher d’une littérature qui serait plus personnelle, plus risquée et plus aventureuse.
En cela La vie est un roman pourrait signer une sorte d’au revoir à quelque chose de « fatiguant ». Le début d’un saut dans l’inconnu.
On a vu des artistes à succès remettre en question leur succès et en connaître un nouveau, plus puissant encore.
Coluche, avec Tchao pantin. Michel Blanc avec Monsieur Hire. Patrice Leconte avec Tandem. Daniel Auteuil avec Jean de Florette. Spielberg avec La liste de Schindler. Clint Eastwood en passant à la mise en scène. Dans la littérature, plus que cette « renaissance », c’est le dédoublement qui est préféré. Romain Gary/Emile Ajar. JK Rowlings/Robert Galbraith. Boris Vian/Vernon Sullivan. Claude Klotz/Patrick Cauvin. Jacques Laurent/Cecil Saint-Laurent. Etc.
La vie est un roman se situe pour moi sur cette crête inédite où un auteur est en train de choisir de quel côté il va tomber. Et cette hésitation, au-delà de la fabuleuse promesse qu’elle contient, est absolument bouleversante.

*La vie est un roman, de Guillaume Musso. Éditions Calamnn-Levy. En librairie depuis le 26 mai 2020.
**Tout comme dans Un appartement à Paris (2017, XO Éditions), La jeune fille et la nuit (2018, Calmann-Levy) et La vie secrète des écrivains, (2019, Calmann-Levy).

24 heures chrono.

Lire au temps du virus. Bientôt 100 000 morts ici des suites du Covid-19. 40 000 morts par arme à feu en 2017. Mais l’arme la plus assassine reste le racisme. Suivie par l’indifférence.
Assez vertigineux de lire ce livre, ici à New York. De vivre, sous la plume d’un journalisme sans concession, d’une humanité sans larmes, cette journée du 23 novembre 2013, choisie au hasard par Gary Younge. Il y raconte en dix chapitres glaçants, dix meurtres ce jour-là de gamins âgés de 9 à 19 ans. Dix tragédies américaines.
En journaliste méthodique, écrivain inspiré – il a du talent à revendre –, Younge dissèque ces dix drames pour traquer jusqu’à en dénicher chaque origine et il y a dans cette quête quelque chose de la désespérance des chercheurs d’or, parce que, bien sûr, on retrouve la cause dans les 300 millions d’armes en circulation qui facilitent le coup de feu (on risque moins d’atteindre quelqu’un d’une balle lancée avec un élastique), mais surtout dans le racisme – la plus profonde et purulente plaie américaine –, dans la misère, les phénomènes de gangs, les problèmes abyssaux d’éducation et de santé, le découragement des parents, l’alcool, la drogue, le chômage, et toutes ces impasses qui empêchent l’horizon.
Aux parents à qui Younge demande ce qui a tué leur gamin, aucun ne répond « une arme ».
C’est être noir, pauvre et au mauvais endroit qui tue.
Une journée dans la mort de l’Amérique est un livre important. Un livre qui, une fois refermé, a réussi le miracle de parvenir à définir l’impondérable et irremplaçable poids d’une vie.

*Une journée dans la mort de l’Amérique, de Gary Younge. Éditions Grasset, collection Les lettres d’ancre. En librairie depuis le 4 octobre 2017.

Ces anges qu’on ne voit pas.

Lire au temps du virus. Désolant de lire, après trois jours de la levée (en trompe l’œil du déconfinement) qu’on ne parle que des vacances d’été. De plage « dynamique ». De chambres d’hôtes. Etc. Qu’on ne parle pas de bosser (mais ça doit être un mot inconnu, comme dans Brice de Nice, lorsqu’il dit : « Travail ? Oui, je dois avoir un ami qui fait ça »**) et surtout jamais de ceux qui, depuis leur enfance sont confinés du le mauvais côté de la vie.
En lisant Sale Gosse*, je pensais à Polisse, le film de Maïwenn, et voilà qu’à la toute fin, dans une note, Mathieu Palain explique que c’est ce même film qui, d’une certaine façon, est à l’origine de son livre. Ou plutôt de son expérience. Car si le livre est frappé du mot roman – ce qui lui permet de n’être pas remisé aux rayons psychologie, éducation ou encore sciences humaines des librairies –, il m’a frappé moi par son côté documentaire. J’ai, en le lisant, eu l’impression de voir un docu. De voir des vrais gamins à la ramasse ramassés par des garçons et des filles qui, pour des raisons profondes, personnelles, ou simplement belles, ont décidé de les aider, les sauver parfois, ces gars et ces filles de l’ombre, ces anges que personne ne voit jamais.
Sale Gosse est l’histoire de l’un de ces gamins. Wilfried. De l’abandon de sa mère quand il avait huit mois à l’abandon de ses derniers rêves quand il en a dix-huit. C’est une fabuleuse histoire de vie, d’urgence, de douleurs et de colères. C’est, je l’ai dit, à lire comme on regarde un documentaire, où ce qui cogne et fait le plus mal n’est pas le plus dur ni le plus violent, mais juste la vérité.
Mathieu Palain signe ici son premier livre. Ne le perdez pas de vue. Il en a sous le pied, comme on dit.

*Sale Gosse, de Mathieu Palain. Publié par L’Iconoclaste. En librairie (au rayon roman) depuis le 21 août 2019.
** De mémoire.

D’avant le temps d’avant.

Lire au temps du virus. C’est amusant l’usage des mots en période de virus. On parle de la vie d’avant. On évoque la vie d’après. On dit que l’après ne sera pas comme l’avant. La Palice, vite, reviens ! En attendant, voici une histoire d’avant avant.
L’automne attendra* est le troisième roman de Françoise Kerymer, ancienne libraire dont on pourrait à ce titre subodorer qu’elle sait mieux que quiconque ce qui plaira aux lecteurs.
Ainsi nous raconte-t-elle l’histoire de Louise, écrivain – mais un écrivain comme avant, qui a besoin d’une maison de campagne pour écrire, d’une ambiance parfaitement calme autour d’elle, de bougies parfumées et peut se prendre la tête pendant un mois sur une seule phrase –, mariée à Germain, un procureur à deux doigts grassouillets de la retraite. Après trente ans de mariage et deux grands enfants, il semble que l’amour s’ennuie. Et voilà que surgit Adrien, chef d’orchestre, solitaire, bougon, sauvage, au moment même où Louise croque un musicien dans son prochain roman. Il n’en fallait pas plus pour tracer la trame d’un roman d’une lenteur amoureuse d’avant le temps d’avant, de danses du ventre interminables, de papillonnements de séduction au ralenti, il est vrai que Clémenceau avait décrété que le meilleur moment de l’amour, c’est la montée de l’escalier, mais ici, l’escalier fait quatre ans et c’est un peu flippant car enfin, lorsque les (futurs) amants de 60 ans qui n’ont toujours pas consommé s’apprêtent à vivre sous le même toit, voilà que notre chef bougon s’apitoie (page 340) : « Qu’allons-nous nous dire, tous les jours, à table, vous et moi ? Je me suis tellement habitué au silence de la solitude ? ». Élégant, le gars.
Bref, malgré l’improbabilité même du sujet (mais y aurait-il encore des romans si la plausibilité devait l’emporter ?), ne boudons pas ce plaisir automnal, aux couleurs parfois de rouille. Il rappelle que le bonheur n’a pas de date limite. Et c’est finalement le plus important.

*L’automne attendra, de Françoise Kerymer. Éditions JC Lattès. En librairie depuis le 4 avril 2018. (Oui, il était depuis longtemps sur ma pile).
PS. La dédicace ci-dessous que m’avait adressée Françoise résume bien mieux son propos que je ne l’ai fait ci-dessus. Finalement, les cordonniers sont les mieux chaussés.

Manque un peu de sel.

Lire au temps du virus. Avoir des réserves de livres, comme on a des stocks de pâtes et de papier toilette. Et se nourrir l’esprit, autant que le corps.
C’est curieux. Voici un texte que je rêvais de dévorer depuis longtemps et, comme à mon habitude je gardais le meilleur pour les jours de faim. Je viens donc de refermer ce roman* multi-primé** en Italie, comme on pose une serviette sur une table, à la fin d’un repas, certes copieux, inventif, audacieux parfois, mais qui laisse un peu sur sa faim, justement. Bon. Fi de mes vaseuses comparaisons culinaires, La Goûteuse d’Hitler est un livre formidable à partir de la moitié. La seconde, heureusement. Ceci dit, il faut se farcir (pardon) la première et elle manque selon mon goût singulièrement de piquant. Voici l’histoire de Rose, femme et amoureuse de Gregor parti au front. Avec d’autres, elle devient goûteuse pour le Führer, lequel avait des intestins particulièrement délicats, un système digestif capricieux et une phobie de l’empoisonnement. Voilà. Mais deux cents pages plus tard, voici que Rose, alors que Gregor est porté disparu (quelle expression quand même, porté disparu) goûte à Alfred Ziegler – Obersturmführer pur jus, nazi pur porc –, ses sens s’affolent, son dos se cambre, ses reins brûlent. L’interdit fait les jouissances ravageuses. Et enfièvre les sentiments. Page 324, dans la bonne moitié donc, elle confesse : « J’existais moins depuis qu’il ne me touchait plus. Mon corps avait révélé sa misère ». Et là, le livre confine à quelque chose de parfait. De bouleversant aussi. Le chagrin du corps en période de conflit. Un sorte d’agueusie du désir. Le cannibalisme de la guerre.

*La Goûteuse d’Hitler, de Rosa Postorino. Éditions Albin Michel. En librairie depuis le 2 janvier 2019.
**Prix Campiello. Prix Vigevano Lucio Mastonardi. Prix Rapallo. Prix Pozzale Luigi Russo. Prix Jean Monnet de Littérature européenne 2019. Prix 22 euros.
PS. Dans le genre de livre qui lie épices et passion, on se délectera de Como agua para chocolate (« Les épices de la passion », en français, bof, bof comme titre) de l’irréprochable Laura Esquivel, porté à l’écran sous le même titre par son diable de mari, Alfonso Arau.