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Un conte pour les grands.

Notre petit monde ne va pas bien. Il est même très malade. La haine. L’argent. Le pouvoir. Toutes ces choses qu’on connaît et contre lesquelles on ne fait plus rien depuis belle lurette. Les méchants s’apprêtent à utiliser les armes monstrueuses (qui ont fait leurs preuves à Nagasaki et Hiroshima) pour avoir plus de pouvoir encore. Et voici que des Frères inattendus* arrivent, désarment la Terre de toutes ces saloperies, la répare, soigne les hommes et fait rêver à un monde meilleur, une chanson de Beatles, Imagine – pour ne pas la citer ; un monde où « La mort est le seul ennemi qui mérite d’être combattu, pourchassé, vaincu » (page 326) et dont le combat devrait nous unir tous, frères humains. Dans son dernier livre, Amin Maalouf nous livre, sous forme de suspens, un bien agréable conte philosophique sur cette Atlantide perdu où les hommes s’aimeraient enfin. Il y a du Barjavel dans cette histoire, un vieux rêve dont on sait qu’il ne verra jamais le jour mais qu’il a été confortable de rêver.

PS. Comme Maalouf est un malin et que le mal qu’il décrit a un fantastique écho avec la pandémie du moment, il écrit, page 301 : Mais quelle arrogance est pire que celle de l’homme qui prétend décider à notre place si nous devons préserver de la maladie et de la mort les êtres qui nous sont chers ? Ceux qui expriment de telles prétentions sont des hommes d’un autre âge qui ne devraient certainement pas se trouver à la tête d’un pays avancé et libre comme le nôtre. (Si vous connaissez l’un de ces zigotos qui nous gouvernent, merci de lui conseiller ce livre).

*Nos Frères inattendus, de Amin Maalouf. Éditions Grasset. En librairie depuis le 30 septembre 2020.

Femmes en colère.

Un an après le virtuose Disparaître, revoici Mathieu Menegaux avec un implacable Femmes en colère (qu’on aurait d’ailleurs pu écrire au pluriel tant elles sont nombreuses) qui raconte la journée de délibérés d’un jury d’assises qui a à décider de la condamnation et de la peine de Mathilde Collignon. Après avoir été une victime elle-même, et pas des moindres, Mathilde Collignon s’est sérieusement vengée de ses deux tourmenteurs (ah la fabuleuse description de sa vengeance !). Le débat est tout de suite posé. A-t-on le droit de se faire justice soi-même (surtout quand elle fait si peu son travail) ? Peut-on juger pour réparer et non pas seulement condamner ? L’époque des Weinstein, #MeToo et autres influe-t-elle la façon même de penser le mal ? Et enfin, peut-on se servir de la justice pour être juste ? À toutes ces questions, Mathieu apporte des éléments de réponses intelligentes dans un style littéraire d’une précision, d’une élégance et d’une efficacité hors pair (Prends garde, Grisham). Last but not least, tout cela au travers d’un suspens formidable (je n’ai pas pu ne pas le lire d’une traître) assaisonné d’un final digne des plus grands rebondissements de cinéma comme l’aime tant Mathieu. In fine, un portrait de femme inoubliable (et espérons-le, bientôt un sacré film) comme il en a le secret depuis l’invention de Claire, l’héroïne de Je me suis tue et qui interpelle remarquablement les hommes d’aujourd’hui. Verdict, brillantissime.

*Femmes en colère, de Mathieu Menegaux. Éditions Grasset. En librairie depuis le 3 mars 2021.

D’excellentes nouvelles de Frank Andriat.

On se demande toujours ce que deviennent les amis écrivains en ces temps incertains de confinement, couvre-feu, restrictions, librairies fermées, masques sur la gueule, resto interdits, voyages reportés, espérances limitées. Certains, ai-je appris, n’ont plus la niaque pour écrire. L’imagination s’est carapatée, les murs ont poussé et caché l’horizon. Il ne semble pas que ce soit le cas de Frank. Le revoici avec un livre de six longues nouvelles toutes plus formidables que les autres (même si j’ai un faible pour La notification,page 91) ; des histoires qui ont la particularité de toutes se passer dans un train ou pas loin, et de dérailler un peu, beaucoup, passionnément, comme dans la vraie vie. L’écriture de Frank s’est faite ici précise et envoûtante, comme un trajet en Orient-Express : pas de gras, pas de mots de travers ni d’inutiles fioritures. Le luxe des mots à l’état pur. Achetez vite votre billet. 16 euros pour six voyages inoubliables, émouvants, cruels parfois, c’est donné.

*Lorsque la vie déraille, nouvelles, de Frank Andriat. Éditions Quadrature (dont je salue au passage le fantastique travail qu’ils font pour défendre les nouvelles de langue française). En librairie depuis le 10 février 2021.

Oh, le joli livre !

Voici Vinca Van Eecke, 45 ans, études de lettres à Dijon après avoir passé son enfance, métier du papa oblige, à Dakar et à Abidjan. « La France ça a été un choc, dit-elle. Le froid. Les gens fermés. Lycée privé catholique ». Et une maman qui lui donne la passion des livres. Ah, les mères. Quelles fées. Et voici son premier roman, Des kilomètres à la ronde, une petite merveille d’écriture, de délicatesse et de poésie. Un roman beau et âpre sur les jeunesses gâchées, les bandes qui traînent, les gars qui rêvent, les filles qui tombent amoureuses. Parmi elles, la narratrice, « la fille de la bande », dingue de Jimmy. Les étés passent, inutiles et vains, dans un parfum de Bogdanovich et de son inoubliable The Last Picture Show auquel ce livre me fait penser. Les corps grandissent, les désillusions aussi. Le monde des adultes n’a pas gardé de place pour ces gamins grandis de guingois. L’horizon est au bout de la rue. Le supermarché. La quincaillerie. On épouse finalement la fille de la voisine. Il n’y a rien de triste dans cette histoire ; juste le temps qui pour eux est passé de cette façon-là, leur a laissé ça. Ces petites ronces qui font les vies. C’est le premier roman de Vinca Van Eeke. Une première beauté magistrale. 

*Des kilomètres à la ronde, de Vinca Van Eecke. Éditions du Seuil. En librairie depuis le 20 août 20.

Autopsie d’un roman.

Autopsie signifie précisément voir de ses propres yeux. Par extension : disséquer un cadavre pour tenter d’y trouver les causes de la mort. Dans cet Autopsie d’un drame1, après l’épatant Anatomie d’un scandale2, Sarah Vaughan s’attaque à cette terrible suspicion de maltraitance d’enfant. Un suspens formidablement bien troussé, ainsi que les anglaises en ont le secret. Une mère dépressive, un bébé qui arrive aux urgences avec un important traumatisme crânien, des incohérences dans l’emploi du temps, une enquête de police, doutes, soupçons ; comme d’habitude, il faudra attendre la fin pour que la mécanique du drame se révèle. En disséquant le roman, j’y ai aussi vu ce qui lui causait un peu de tort. Pourquoi diantre l’enquêteur (en l’occurrence la pédiatre) doit-il lui aussi avoir connu un drame comparable à celui mis en scène, un passé hanté par les mêmes suspicions ? C’est lourd, inutile, et surtout ajoute 150 pages à un livre déjà fort copieux (440 pages, corps 12). D’autant que le passé de Liz (la pédiatre) n’éclaire en rien le présent de Jess (la maman soupçonnée de maltraitance). Ce n’est que mon modeste avis, à prendre avec des pincettes sans doute puisque selon celui de Paula Hawkins, auteur de La fille du train3, il s’agit ici d’un livre « Captivant, intelligent et intense » ; enfin, vous verrez… par vos propres yeux.

1.Autopsie d’un drame, de Sarah Vaughan. Éditions Préludes. En librairie le 10 mars 2021.
2. Anatomie d’un scandale, éditions Préludes (2019) puis Livre de poche (2020).
3.La fille du train, le best-seller de Paula Hawkins chez Pocket.

Un peu de Bleue dans tout ça.

Surprise. Il n’y a pas que les romans dans la vie. Il y a les livres d’art* qui permettent de découvrir un artiste qui écrit avec d’autres mots que les mots et surtout d’en savourer parfois la préface, ici signée de Michel Persitz dont on se souviendra du sublime Juif de Personne (Lattès, 2020). Il nous présente Bleue Roy. « Son père avait la silhouette inébranlable des phares bretons. Elle a hérité de son fier maintien, un port de tête droit, le menton levé, le regard direct, franc et clair. Pour beaucoup, chez une femme, c’est déjà trop ». Davantage qu’une simple présentation convenue d’un peintre brillant par un auteur brillant, voici un texte d’amour fou, comme il y eut des merveilles entre Éluard et Gala ou Aragon et Elsa. 

*Bleue Roy, Jubilant Abstraction. Balzac Publishing, 6502 San Vicente Blvd, Los Angeles, USA.

De toute beauté.

De quoi 2021 est-il fait ? De poésie, soudain. De poésie, enfin. Voici Le Neveu d’Anchise, 31ème livre de Maryline Desbiolles (mais où ai-je vécu ces trente dernières années pour n’en avoir jamais lu un seul ?), 136 pages de vent, de chair, d’enfance, d’arrière-pays et d’abeilles. Je ne sais pas de quoi ce roman est l’histoire. Je m’en fous un peu, à la vérité. Sans doute parle-t-il de l’enfance, du désir, du corps, de la trompette et de Chet Baker, du visage parfait d’Adel qui tisonne le cœur et le ventre d’Aubin, le neveu qui nous raconte ce chant des champs, des poubelles et des chiens effrayants. Desbiolles (qui a obtenu le Prix Femina en 1999 pour Anchise, l’oncle du neveu de ce livre, Anchise qui s’est réellement consumé d’amour en se brûlant dans sa voiture), écrit comme on n’ose plus, comme on en rêve, comme doivent être les livres qui sont plus grands que la vie, la saupoudrent d’un sel essentiel, extrêmement délicat, celui qu’on ne trouve que sur une joue après la larme d’un authentique chagrin. La poésie est ce qui nous sauvera.

*Le neveu d’Anchise, de Maryline Desbiolles. Éditions du Seuil, coll. « Fiction & Cie ». En librairie depuis le 7 janvier 2021.

Héroïque Wanda.

De quoi 2021 est-il fait ? Voici le livre* d’une jeunesse. Et donc d’une fin. Car la jeunesse ne dure pas. Tout comme la vie. Voici Wanda, 70 ans, Wanda qui part (de la vie) et part (de sa chambre d’hôpital) pour aller mourir là où « il n’est ni honteux ni étonnant de mourir » (page 210). Et de ce voyage, c’est le voyage intérieur le plus beau. Celui qui nous fait parcourir, dans une écriture fine et drôle souvent, une jeunesse polonaise au temps des années de plomb, de l’URSS et des Rolling Stones, du LSD, de la littérature et de l’amour. C’est parce que sa chair fond et sent désormais mauvais, dit-elle, qu’elle se souvient de sa chair d’avant, pleine, sa chair de femme, chère épouse, chair d’amante et l’offre aux mots de sa mémoire. Pauline Dalmayer signe un deuxième roman essentiel en cette période humainement apocalyptique puisqu’elle pose la question du choix de la fin de vie. Et, puisque dans fin de vie, il y a vie, elle nous rappelle que celle-ci, toujours, a été importante. Comme celle de Wanda. Comme la vôtre. La mienne. Celle du type qui passe, là-bas.

*Les Héroïques, de Pauline Dalmayer. Éditions Grasset. En librairie depuis le 13 janvier 2021.